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rêtait son amie n’était pas fait pour une âme comme la sienne :

Pour moi, lui disait-il, j’avoue que s’il me fallait adopter pour mon refuge le sentiment qui vous est salutaire, ce serait la mort la plus prompte qui deviendrait mon asile. Mais, ignorance pour ignorance, je préfère celle qui me persuade que tout est bien ordonné à une fin utile et sage, qui satisfait ma faible intelligence ainsi que mon cœur. Je souffre dans mon corps, parce qu’il est sensible à la douleur comme au plaisir physique. Je souffre dans mon âme parce qu’elle est sensible aussi à la haine comme à l’amour. Cette sensibilité, fallait-il nous en priver parce qu’elle peut nous nuire ? Ôtez le mal, que devient le bien ? N’est-ce pas l’ombre et la lumière ? Voilà cependant la grande objection contre une cause intelligente !

Ainsi causaient ensemble les deux amis. DuPeyrou était le confident littéraire et le critique le plus écouté de l’auteur de Caliste. Non seulement il faisait copier par ses secrétaires les manuscrits qu’elle lui envoyait, traitait avec l’imprimeur – Witel, Fauche ou Spineux, — mais il faisait l’office de censeur avec une parfaite sincérité : « Monsieur DuPeyrou, écrit-elle, est toujours mon aristarque sévère ; je me défends quelquefois comme un tigre contre ses critiques ; d’autres fois, je les adopte avec la douceur d’un mouton. » — « Je crois, lui écrit-il, que trop de facilité est un mal, que trop de paresse l’est aussi, que vous êtes atteinte de ces deux maux, dont l’un complète l’autre. Car, sans la paresse, vous corrigeriez avec facilité, et sans la facilité, vous auriez moins à corriger. »

L’admiration pour Rousseau, qui, chez DuPeyrou, était une sorte de culte, fut entr’eux un lien de plus, et sans doute un inépuisable sujet de conversation. Quel dommage que DuPeyrou n’ait pas écrit de souvenirs sur son illustre ami ! Quel dommage, à défaut, que