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MADAME DE CHARRIÈRE
ET JEAN-JACQUES ROUSSEAU[1]



I


Dix ans avaient passé depuis la mort de Rousseau ; la postérité avait commencé pour lui ; sa personnalité et son œuvre excitaient cet intérêt curieux qui s’attache toujours au grand homme récemment disparu. L’Académie proposait son éloge pour sujet du prix d’éloquence ; la seconde partie des Confessions allait paraître et soulevait à l’avance de vives polémiques ; Mme  de Staël, le Comte de Barruel, d’autres encore, publiaient leurs écrits sur Rousseau. Mme  de Charrière, qui parlait souvent de lui avec DuPeyrou, fut tout naturellement amenée à s’occuper, elle aussi, de l’auteur d’Émile. Elle le fit moins encore par goût personnel que pour défendre l’ami de Rousseau, qui était aussi son ami, le plus cher qu’elle eût à Neuchâtel. Sitôt que DuPeyrou fut attaqué, elle se jeta dans la mêlée avec tout l’élan d’une âme vaillante et généreuse.

Elle avait pour lui la plus haute estime, recherchait la société de cet homme sûr et bon. Très souvent, DuPeyrou faisait atteler son carrosse et venait passer l’après-midi à Colombier. Presque tous les jours il dictait à son valet de chambre Choppin — car sa goutte l’empêchait d’écrire — un billet pour son amie ; elle lui écrivait aussi journellement : de toute cette précieuse

  1. Ce morceau forme le chapitre XIV d’un ouvrage qui paraîtra cette année et sera intitulé Madame de Charrière et ses amis.