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dance, de son développement sage et continu et en grande partie de son lustre. Rousseau, à la vérité, propose sa patrie en exemple à l’Europe, mais il conjure en même temps ses concitoyens de se délivrer d’une oligarchie dangereuse, et il veut que le peuple réuni en assemblée plénière use plus fréquemment de sa souveraineté.

« C’est substituer au frein imposant de la constitution civile et religieuse de Calvin le fantôme de la liberté, c’est préparer les voies aux démagogues, » s’écrie le docteur, convaincu que toute modification dans la loi fondamentale du pays entraînerait celui-ci à sa perte. Dès la première heure, Tronchin ne se dissimule pas l’étendue du danger, sachant fort bien que les semences révolutionnaires jetées par Jean-Jacques trouveront un terrain tout préparé pour les recevoir. Il prévoit que la Genève dont il se sentait fier, la Genève aux fortes traditions, jalouse de rester telle que l’avait faite la piété des ancêtres, sera désormais « le jouet des sophistes politiques trompant le peuple avec d’autant plus de facilité que ceux qui pourraient l’éclairer sont naturellement l’objet de sa défiance ». « Ce misérable Rousseau, écrit-il à son fils, a porté le poison dans le cœur de nos concitoyens, le poison germera toujours. Il a mis sa mèche sur nos barils de poudre. »

Aussi Tronchin fut-il à Genève un ardent partisan de la résistance aux idées de Rousseau. Appelé, deux jours après la condamnation de l’Émile, à prononcer dans la cathédrale « le Discours Académique » à la cérémonie des Promotions[1], il saisit cette occasion pour

  1. On appelle « Promotions » à Genève la cérémonie annuelle dans laquelle on décerne les récompenses aux élèves du collège. – Les Promotions eurent lieu cette année-là le 21 juin. V. Rivoire, Bibliographie historique de Genève au XVIIIe siècle, t. I, p. 113.