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que tous les maux qu’il prétend guérir. » Il avait renoncé aux soins de Morand, de Daran, d’Helvetius, de Malouin et, malgré les instances de ses amis, il décline les services de Tronchin :

Par combien de raisons, Monsieur, lui écrit-il, ne devais-je pas vous prévenir, mais je respectais vos travaux et n’osais vous dérober un temps destiné au soulagement ou à l’instruction des hommes.

Je suis pénétré de vos bontés et s’il y avait quelque espoir à ma guérison, comme vous êtes le seul de qui je la pourrais attendre, vous êtes aussi celui de qui j’aimerais mieux la recevoir. Mais une mauvaise conformation d’organe apportée dès ma naissance et le long progrès d’un mal déclaré depuis plus de dix ans me font juger que tout accoutumé que vous êtes à faire des miracles celui-ci vous échapperait ou du moins vous prendrait pour l’opérer un temps et des soins dus à des gens plus utiles que moi au monde et à la patrie. Je ne renonce pas pourtant à profiter un jour de l’attention que vous voulez bien donner au détail de ma maladie, mais la description de mes douleurs passées, le sentiment des présentes et l’image de celles qui m’attendent me font tomber la plume des mains et m’ôtent d’autant plus aisément le courage que l’espoir de la guérison ne le soutient plus. Depuis trois ans j’ai renoncé à tous les secours de la médecine, dont une longue expérience m’a montré l’inutilité par rapport à moi. J’ai mis à profit pour jouir de la vie bien des moments que j’aurais assez désagréablement perdus à tenter de la prolonger. Il me semble que je n’ai pas besoin de la vaine illusion qui flatte la plupart des malades et quelque confiance que j’aie en vos lumières, le désir que j’aurais de vivre auprès de vous a bien plus pour objet l’exemple de vos vertus que les secours de votre art.

Les soins de l’amitié me retenaient auprès d’une dame assez dangereusement malade quand je reçus votre lettre, je la lui communiquai et sa lecture augmenta le désir qu’elle a depuis longtemps de vous consulter ; quoiqu’elle soit à la fleur de l’âge, son tempérament est si faible que sa famille et ses amis auraient grand besoin de vos soins pour se la conserver. M. de Gauffecourt qui la connait peut vous dire si elle en est digne. Je ne doute pas qu’elle vous écrive sitôt que ses forces le lui permettront.

Donnez-lui, Monsieur, les secours que vous daignez m’offrir ; sa santé n’est point sans ressources, et sa vie est nécessaire à ses enfants, à ses amis et à tous les honnêtes gens qui la connaissent.