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« Ce fut au mont Chuga que commença sérieusement la longue série de nos misères. La neige, le vent et le froid se déchaînèrent sur nous avec une fureur de jour en jour plus violente. Nous entrions dans les steppes du Thibet, c'est-à-dire dans le pays le plus affreux qu'on puisse imaginer. Les hommes et les animaux étaient sans cesse contraints de fouiller dans la neige, ceux-ci pour pouvoir brouter un peu d'herbe, et nous pour déblayer quelques argols (1)[1], unique chauffage qu'on rencontre dans le désert. Dès ce moment, la mort commença à planer sur la grande caravane. Tous les jours on était forcé d'abandonner sur la route des chameaux, des bœufs, des chevaux, qui ne pouvaient plus se traîner. Le tour des hommes vint un peu plus tard. Nous cheminions, du reste, comme dans un vaste cimetière. Les ossements humains et les carcasses d'animaux qu'on rencontrait à chaque pas semblaient nous dire sans cesse que sur cette terre meurtrière et au milieu de cette nature sauvage, les caravanes qui nous avaient précédés n'avaient pas trouvé un sort meilleur que le nôtre.

« Ma santé se maintenait ; mais bientôt j'eus l'inexprimable malheur de voir M. Gabet malade. Il tomba dans une extrême faiblesse ; ses forces avaient été brisées par le passage du mont Chuga. Combien l'avenir était sombre ! encore deux mois de route pendant les horreurs de l'hiver !

« Nous étions en présence des montagnes Bayen-hara. Des pieds jusqu'à la cime tout était enveloppé d'une épaisse couche de neige. Dieu dans sa bonté infinie nous donna assez de courage et de force pour franchir ces redoutables hauteurs. Après quelques jours de

  1. (1) Quand la fiente des animaux est propre à être brûlée, les Tartares l'appellent Argol.