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CONCLUSION


La valeur et la portée de l’œuvre de Jane Austen.
Ses résonances dans le roman féminin
de l’ère Victorienne.


Il est un moment de l’aube où, dans la lumière fine et pâle du jour naissant, les lignes d’un paysage familier revêtent une apparence nouvelle. Sous la limpide clarté qui les baigne, elles prennent un caractère qu’on ne leur voit point aux heures illuminées d’un plus chaud rayonnement. Il semble alors que l’œil aperçoive pour la première fois ce décor, cependant bien connu, dont la magie de l’aube révèle un aspect jusque-là ignoré. Une même lueur, accompagnée d’une même révélation, éclaire l’œuvre de Jane Austen. Dans les trois romans qui appartiennent aux dernières années d’une trop courte vie, comme dans les pages écrites par un auteur de vingt ans, une atmosphère de fraîcheur matinale, de sereine et pénétrante clarté, prête un intérêt inattendu à des êtres et des choses que rien n’élève au-dessus du niveau de la vie moyenne. L’auteur ne connaît et ne veut connaître que la douceur et la sécurité d’existences protégées contre toutes les surprises du destin ; rien n’attire son attention ou n’excite sa curiosité qui ne s’épanouisse dans le climat intellectuel et social de la « gentry ».

En dépit de ces restrictions, peut-être à cause d’elles, son roman traduit certains aspects du réel avec une lucidité et une justesse sans égales. Contradiction singulière : ses limites étroites qui seraient ailleurs une cause de faiblesse et d’insuffisance, l’horizon resserré dans lequel s’étioleraient, sans jamais atteindre à la plénitude de l’être, quelques figures chétives, contribuent ici à l’harmonie d’une œuvre unique. Spectateur attentif et amusé, Jane Austen ne cherche point à interpréter la vie ; elle se contente de l’observer, mais son esprit et ses sentiments sont toujours à l’unisson des êtres et des choses qu’elle observe. Aussi trouve-t-on dans son roman une acceptation du réel souriante sans banalité, ironique sans