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pâleur mortelle se répandre sur son visage et de tomber évanouie dans les bras de Mme Allen, Catherine resta assise, en pleine possession de toutes ses facultés, sans rien de plus inusité qu’une rougeur un peu vive sur les joues ». [1]

La satire s’appuie ici sur le contraste entre l’attitude et la pensée d’une héroïne « vraie » et vivante comme Catherine, et l’attitude artificielle et fausse des personnages que Mrs. Radcliffe fait évoluer dans un décor de mélodrame. Le roman fantastique suggère encore à Jane Austen l’idée d’autres comparaisons. La réalité, telle qu’elle est représentée dans « Les Mystères d’Udolpho » et dans les œuvres du même genre, ne correspond pas à ce que l’expérience peut nous offrir; aussi, une imagination nourrie de spectacles terrifiants, de scènes d’un pittoresque frappant et plus qu’un peu théâtral doit-elle éprouver, devant la vie et devant la nature, une série de désillusions.

Comme elle ne connaît rien du monde, à part la maison paternelle, et doit aux seuls romans qu’elle a lus ses idées sur la nature humaine et sur la beauté d’un décor ou d’un site, Catherine Morland, à mesure qu’elle approche de Northanger s’attend, à chaque détour de la route, à voir une demeure féodale, un château aux murs gris, entouré de chênes séculaires. L’abbaye, pense-t-elle, doit ressembler à ces vieux châteaux qui apparaissent toujours aux yeux charmés des héroïnes de Mrs. Radcliffe, « baignés dans la splendeur du soleil couchant dont les derniers rayons jettent leur éclat sur de hautes fenêtres gothiques. » Elle a, depuis longtemps, savouré à l’avance le délicieux frisson de terreur, les craintes vagues, les sombres pressentiments que ne sauraient manquer d’éprouver ceux qui, pour la première fois, visitent une ancienne abbaye. Mais le coucher de soleil espéré et les impressions de terreur attendues sont remplacées par des sensations infiniment moins poéti-

  1. L’abbaye de Northanger. Chap. VIII.