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demeurent en marge de l’intrigue, frelons divertissants d’une petite ruche bien ordonnée où l’activité est un privilège réservé à ceux qui peuvent en faire bon usage. Comparer de tels personnages à ceux de Shakespeare est donc inutile, dangereux même, car les figures humoristiques de Jane Austen ne sauraient soutenir sans dommage un pareil rapprochement. Tout au plus pourrait-on dire, en comparant certains passages du rôle de la nourrice dans « Roméo et Juliette » aux longues harangues de Miss Bates, que, dans les deux cas, le procédé humoristique appliqué à des objets si différents est sensiblement le même et produit un effet semblable. Aucune analyse n’exprimerait d’une façon plus frappante l’inextricable confusion d’un esprit, son incapacité de suivre une pensée, d’en enchaîner et d’en coordonner les différentes phases, que les monologues coupés de parenthèses, d’exclamations, de réflexions, que débitent la nourrice de Juliette et l’excellente Miss Bates. La nourrice interrompt son récit d’une savoureuse anecdote pour préciser une date, pour rappeler tel ou tel souvenir, et répéter en soupirant que feu son mari « aimait la plaisanterie ». La conversation de Miss Bates roule sur d’autres sujets, qui conviennent à une femme de son monde et de son éducation, mais suit les mêmes détours :

« Ma chère Miss Woodhouse, dit Miss Bates, je suis sortie en courant pour vous prier de nous faire le plaisir de monter un instant chez nous et de nous dire ce que vous pensez, et ce que pense Miss Smith, de notre piano. Comment allez-vous. Miss Smith ? Très bien, merci. Et j’ai demandé à Mme Weston de m’accompagner pour avoir plus de chances de réussir à vous décider. — J’espère que Mme Bates et Miss Fairfax sont… — Excellente, vous êtes trop aimable. Ma mère se porte à ravir et Jane n’a pas pris froid hier soir. Comment va Mr. Woodhouse? Enchantée de savoir qu’il va bien. Mme Weston m’a dit que vous alliez venir de ce côté ! Alors, lui ai-je dit, je vais descendre en toute hâte et prier Miss Woodhouse de monter ; ma mère sera si heureuse de lavoir et, puisque nous avons