Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/487

Cette page n’a pas encore été corrigée

coup d’esprit pour rendre amusante la conversation des sots », et que ceux qui trouveraient ennuyeux les personnages humoristiques du roman de Jane Austen devraient également dédaigner « Les joyeuses Commères de Windsor » ou « La Nuit des Rois », puisque, dans l’œuvre de Shakespeare, ces deux comédies sont, entre toutes, faites de l’étude de la vanité et de la sottise. Réponse intéressante et juste. Mais la comparaison qu’elle établit entre les personnages humoristiques de Shakespeare et ceux de Jane Austen, ne saurait être acceptée sans restriction.

S’il est tentant de répéter, avec Goldwin Smith : « La main qui peignit Miss Bates, bien qu’incapable de tracer le portrait de Lady Macbeth, aurait pu faire celui de Dame Quickly et de la nourrice de « Roméo et Juliette » [1], il ne faut pas oublier qu’il existe cependant entre ces figures une différence essentielle. Dans l’imagination puissante et subtile de Shakespeare, sous le clair soleil de son génie créateur, les sots, les faibles, les méchants, participent à la vie aussi largement que les forts. Sa conception du réel, généreuse et grande comme la réalité elle-même, permet que les plus humbles soient associés parfois à l’action et que leur existence se justifie dans cette association.

Au contraire, Jane Austen, ne voyant qu’un aspect isolé de la réalité est obligée d’écarter de l’action tous les êtres qui ne satisfont point aux conditions étroites d’intelligence ou de bon sens pratique qu’elle impose aux personnages auxquels elle donne le droit à l’activité. Dans le milieu qu’elle étudie, milieu où l’existence apparaît toujours également éloignée et des exigences matérielles de la vie et des impulsions irrésistibles de la passion, l’activité est un jeu délicat qui exige de la réflexion, du jugement, un sens exquis de la mesure. C’est pourquoi les sots, les Elton, les Bates, les Collins, Harriet Smith, Mme Bennet ou Mr. Woodhouse, n’agissent jamais. Ils parlent, se racontent ou commentent à leur façon les événements dont ils sont les témoins, mais il ne leur est pas permis de jamais se risquer à l’action. Ils

  1. Life of Jane Austen, by Goldwin Smith. Chap. V.