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tateur, Jane Austen, en nous conviant tacitement à la fête d’ironie dont elle jouit elle-même, n’admet que par exception à cette même fête quelques-uns de ses personnages les plus sensés. Peut-être craindrait-elle, en adoptant un autre procédé, de nuire à l’effet d’ensemble de son œuvre. Peut-être encore sait-elle que, pour peindre des défauts ou des travers que certains verraient à Highbury comme elle sait les voir, il faudrait leur donner le grossissement d’une caricature ou la fixité d’une grimace. Elle ne permet donc que rarement à Elizabeth Bennet et à son père de se moquer de Mr. Collins, et, dans « Le Château de Mansfield », n’accorde à Henry Crawford qu’en une seule occasion le droit de s’écrier, en entendant prononcer le nom de Mr. Rushworth : « Pauvre Rushworth et ses quarante-deux répliques ! Qui pourrait jamais l’oublier ! Il me semble voir encore son acharnement à apprendre son rôle et son désespoir ! Ou je me trompe fort, ou sa charmante Maria ne souhaitera jamais qu’il lui adresse quarante-deux répliques ! » [1]

Entourés d’une atmosphère de bienveillance ou d’affection, les êtres les plus ridicules peuvent ainsi, sans invraisemblance, étaler librement leur sottise. L’ironie elle réalisme de l’auteur se concilient par là aisément dans tous les passages humoristiques, et même dans les interminables harangues de Miss Bates. Quel besoin, en effet, aurait la vieille demoiselle de modérer son bavardage, quand elle ne voit autour d’elle que des auditeurs bénévoles ? Walter Scott et plusieurs autres après lui, ont répété qu’un Mr. Woodhouse, une Miss Bates, semblent au premier abord infiniment divertissants, puis « deviennent aussi fastidieux dans un roman que dans la vie réelle ». [2] À ceci, Whately a répondu le premier [3] « qu’il faut beau-

  1. Le Château de Mansfield. Chap. XXIII.
  2. « Characters of folly and simplicity such as those of old Woodhouse and Miss Bates are apt to become as tiresome in fiction as in real society ». Quarterly Review. October 1815.
  3. « It is no fool that can describe fools well and many who have succeded pretty well in painting superior characters have failed in giving individuality to those weaker ones which it is necessary to introduce in order to give a faithful representation of real life. » Quarterly Review. January 1821.