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qu’écrivit Jane Austen, pour servir d’occupation à son auteur pendant de longues heures vides et monotones et pour fournir une lecture divertissante au reste de la famille, la forme du roman n’est-elle pas la meilleure et la plus propre à remplir ces diverses conditions ? Ajoutons à cela les influences que subit Jane Austen ou plutôt l’influence qu’exerça sur elle, vers sa dix-huitième année, la lecture des romans de Richardson et de Miss Burney. Elle se trouva ainsi entraînée à choisir, de préférence à tout autre, le genre qu’avaient illustré ses auteurs favoris. Peut-être, dans un milieu plus favorable, Jane Austen aurait-elle brillamment continué la tradition de la comédie de mœurs de Goldsmith et de Sheridan. Mais saurait-on le regretter, puisque son don de présentation dramatique, au lieu d’introduire dans son œuvre un manque d’équilibre, lui donne une forme plus vivante, plus originale et plus savoureuse ?

En faisant dans son roman la plus large part à l’action, à la révélation directe des caractères et, partant, à la création immédiate d’une image ou d’un jugement dans l’esprit du lecteur, Jane Austen atteint à la perfection de son art. Malgré la sincérité de son réalisme, cet art est plus qu’une simple reproduction : il est une création. Chaque personnage possède une existence indépendante et porte en lui-même la loi et le rythme de son activité. Qu’il soit un personnage humoristique ou l’une de ces héroïnes auxquelles nous attribuons involontairement la grâce spirituelle et le charme discret de « la seconde Miss Austen », il évolue librement et agit en toute circonstance conformément à son caractère sans que jamais, devant lui, nous ayons conscience de l’intervention d’une volonté étrangère. Si dangereuse que soit la fameuse comparaison de Macaulay, osant rapprocher Jane Austen de Shakespeare, on peut dire que la puissance dramatique avec laquelle sont évoquées les figures qui animent les ombrages du parc de Mansfield, les salles de danse de Bath ou le salon de Mme Weston, est le don qui a