Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/466

Cette page n’a pas encore été corrigée

ces personnages dont les caractères ont si peu de relief, présentés comme acteurs d’une alerte comédie, gagnent par là l’accent, la valeur incisive qu’ils ne sauraient avoir autrement. La vie et son mouvement, son continuel devenir, ses transformations constantes, même lorsqu’elles sont presque insensibles, sont ainsi révélés avec toute leur diversité dans l’enchaînement de scènes qui semblent au premier abord peu différentes les unes des autres, dans des conversations où les paroles les plus futiles concourent au développement de l’intrigue et ajoutent un nouveau trait à la peinture d’un caractère.

Chaque roman de Jane Austen contient des pages entières, des chapitres même, auxquels il suffirait de supprimer quelques lignes et d’ajouter, à chaque réplique, le nom du personnage qui la prononce, pour que le roman se change en comédie de salon ou devienne un théâtre dans un parc. L’allure scénique de beaucoup de passages est si frappante qu’elle a suggéré à une des nombreuses admiratrices de Jane Austen, l’idée de publier un volume de « Dialogues et scènes tirés des romans de Jane Austen, arrangés et adaptés pour la comédie de salon ». [1] Que le succès d’une telle adaptation reste douteux, ce n’est pas là une chose dont il faut s’étonner. Si elle n’a pas grande valeur en elle-même, une tentative de ce genre offre cependant un certain intérêt : celui d’être plus fidèle à la conception artistique de l’auteur d’« Orgueil et Parti pris » qu’on ne pourrait tout d’abord le supposer. En effet, une lettre datée de 1813 montre que Jane Austen devait, dans la première ébauche de ses œuvres, noter le dialogue comme si elle l’eût écrit plutôt pour la scène que pour le roman. Au sujet de la publication d’« Orgueil et Parti pris », elle écrit à sa sœur : « Un « dit-il » ou un « dit-elle » ajouté de temps en temps rendrait le dialogue plus facile à suivre,

  1. Duologues and scenes from the novels of Jane Austen, arranged and adapted for drawing-room performance by Rosina Filippi (Mrs. Dowson) With Illustrations by Miss Fletcher. London, 1895. J. M. Dent & Co. ed.