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de Mrs. Manly une série de portraits injurieux, pouvait convenir au début du siècle au pamphlet ou à la satire, mais non point à une œuvre d’art. À la reproduction étroite et inévitablement faussée du réel qu’offrait le roman à clé ou le roman à portraits, s’opposait victorieusement la peinture large, mais fidèle, de la vie dont De Foë, le premier, trouva le secret. Le romancier allait désormais, pour créer un personnage, demander à l’infinie variété du réel une série de traits que la vie elle-même n’avait peut-être jamais réunis chez un seul être. Que Robinson Crusoé se soit appelé Alexandre Selkirk et qu’il ait passé de longues années sur une île déserte, que Tom Jones eut porté un nom différent dans chaque paroisse où un beau garçon élevé par charité était arrivé, après avoir courtisé les filles du village, à obtenir la main d’une fille de « squire », ne pouvait ajouter que peu de chose à la valeur et à l’intérêt des romans où ces personnages figurent. Quand l’étude de mœurs contemporaines, avec Miss Burney, passe aux mains des femmes, le réalisme conserve les mêmes lois, et s’y conforme plus exactement encore. C’est là, d’ailleurs, une des conditions du roman féminin. Le ton d’intimité, les peintures de vie domestique qu’il contient, interdisent à la délicatesse de la « petite Burney » de prendre telle personne de son entourage pour modèle de son Evelina. Avec « Orgueil et Parti pris », le milieu du roman féminin devient de plus en plus étroit. L’auteur ne pourra donc demander à la réalité que des traits ou des détails auxquels il donnera, grâce à un heureux arrangement, une valeur unique et originale. Le roman satisfait ainsi à la double condition d’être réaliste et de ne point « enfreindre les lois de la bienséance mondaine » [1], offense que Miss Austen, avec sa réserve naturelle et son tact parfait de femme du monde, ne s’exposerait pas à commettre. Elle déclare, au contraire, avec un légitime orgueil : « Je suis trop fière

  1. Memoir. Page 147.