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l’important est de savoir observer, de trouver, même dans un milieu resserré et terne, l’infinie variété des nuances que revêtent toujours, pour qui sait les voir, la vie et les caractères. Quand un artiste a devant lui, ouvert largement à son étude un vaste champ d’observation, sa facture peut et doit être hardie et large. Au contraire, si cet artiste est une femme, si les circonstances ne la mettent point en présence d’une grande variété d’individus et ne lui permettent pas d’observer de près différents milieux, en un mot, lorsqu’il lui suffit pour ses tableaux « d’un feuillet d’ivoire de deux pouces de large », son art doit rechercher le fini, le fouillé, la précision, la délicatesse, toutes qualités admirablement adaptées à la patience et à la légèreté d’une main féminine.

Cet art, fondé sur l’observation minutieuse d’objets empruntés à la réalité immédiate, ne saurait être qu’un art de vérité. Voué à la reproduction de choses familières, d’êtres moyens, il ne peindra ni l’idéal, ni le rare, dans la nature aussi bien que dans le cœur humain. Est-ce à dire qu’il ne verra, parmi toutes les formes et tous les modes du réel, que ceux-là même qui seront dénués de beauté? Nullement. Mais la beauté qu’il tentera d’atteindre — et qu’il atteindra sans effort — sera une beauté moyenne et point trop éclatante pour qu’on ne puisse la supporter longtemps. Il découvrira, dans les choses ou dans les êtres, une harmonie secrète, une grâce latente, invisible à tous avant sa révélation. Sans dépasser jamais les limites de la réalité, il éclairera celle-ci d’une lumière qui la fera paraître à nos yeux plus attachante et plus digne d’être aimée. L’art auquel nous devons les portraits d’Emma, d’Anne Elliot, l’épisode des représentations d’amateurs sur le théâtre improvisé de Mansfield, le récit de la lutte de John Dashwood entre son égoïsme et son respect de la parole donnée, est essentiellement réaliste.

Parler d’un art réaliste, c’est employer un terme qu’il faut définir chaque fois qu’on l’applique à un objet nouveau, si l’on donne à ce mot plus qu’une signifi-