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du récit, l’adaptation parfaite des moyens employés pour arriver à produire un effet donné, et, enfin, on découvre, en étudiant plus attentivement ces pages d’une écriture alerte et limpide, qu’elles ne pourraient être différentes de ce qu’elles sont. Dans celle symphonie de la vie familiale avec ses joies ténues, ses peines légères, chaque partie appartient à l’ensemble et concourt à l’effet total ; la vie y apparaît peut-être un peu trop assagie, trop douce et trop sereine, et cependant une impression de vérité se dégage de ses pages aimables et charmantes.

Cette oeuvre d’art dont la perfection même semble être une de ces réussites si rares dans l’effort de l’homme vers la beauté, fut composée dans des circonstances qui, pour être sans éclat, n’en sont pas moins exceptionnelles. Placée par sa naissance au-dessus de toute préoccupation matérielle, formée par son éducation à redouter plutôt qu’à rechercher la célébrité que le monde accorde parfois aux artistes, Jane Austen écrivit pour la seule joie d’écrire et peignit seulement les êtres et les choses qui lui avaient toujours été familiers. La formule de « l’art pour l’art » à laquelle on attribue des significations variées pourrait, appliquée à son œuvre, signifier non pas tant l’art pour la beauté, — bien que la beauté et la «grâce décente » paient chacune de ses pages, — ni même l’art pour la vérité, — bien que le réalisme le plus sincère y apparaisse, — mais surtout l’art pour le plaisir de mettre en lumière quelques-uns des aspects fugitifs de la vie. Dès sa jeunesse, attentive au spectacle de la vie, elle l’observe et le reproduit. Sa curiosité ne se lasse point non plus que son intérêt. Elle regarde autour d’elle et, avec les éléments que lui fournil son milieu, elle façonne une image du réel. À créer des personnages, à les animer, à leur donner une physionomie propre, à les faire évoluer parmi des événements qu’elle combine et rend inévitables, son plaisir est tel qu’elle ne songe pas à interroger la vie, à déchiffrer ses énigmes, ni même à porter un jugement sur elle. Témoin et non pas juge