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CHAPITRE V


L’Art.


C’est à Jane Austen elle-même que nous devons la comparaison juste dont il faut se servir pour apprécier son art et sa conception artistique : « Que ferais-je, dit-elle à un neveu qui s’essayait à écrire un roman, de vos esquisses pleines de force, de hardiesse virile ? Comment pourrais-je les placer à côté du petit feuillet d’ivoire, large de deux pouces, sur lequel je travaille avec un pinceau si fin que, après beaucoup de peines, je n’arrive à produire qu’un effet presque insignifiant. » [1] Son travail en effet, est celui du miniaturiste ou de l’enlumineur, travail minutieux et patient pour lequel l’artiste dispose d’une surface si restreinte qu’il doit calculer l’effet de chaque détail, de chaque coup de pinceau, car la moindre erreur détruirait l’équilibre et l’harmonie de l’ensemble. Telles des enluminures d’un dessin précis, aux teintes délicates, il faut, pour bien saisir le mérite de son œuvre, examiner de près, d’un regard sans hâte et sans impatience, le contour de ces lignes exquises, savourer la fraîcheur de ce coloris discret, plein d’oppositions subtiles et de fines nuances.

Si le triomphe de l’artiste est de dissimuler si bien l’effort de son activité créatrice que son œuvre semble parfaitement spontanée, Jane Austen peut être comptée parmi les meilleurs artistes de lettres, parmi ceux qui travaillèrent « de main d’ouvrier ». Simplicité, aisance, naturel, voilà les qualités qui se révèlent tout d’abord à la lecture de ces romans écrits « par une dame » et dans lesquels l’auteur a mis sa grâce et sa distinction natives. Puis, on admire les proportions toujours justes

  1. Memoir. Page 155. Lettre du 16 décembre 1816.