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celle-ci le connaisse elle-même. Un long monologue, qui occupe presque tout un chapitre, nous permet de suivre la transformation qui s’accomplit dans l’âme Elizabeth. Désormais, les faits qui amèneront le dénouement pourront seuls apporter au récit un élément d’imprévu et l’héroïne, dont l’évolution psychologique est terminée, cesse d’avoir à nos yeux l’intérêt qu’elle avait eu tout d’abord. Par ce brusque arrêt de son étude psychologique à un moment où l’intérêt dramatique du roman va arriver à son plus haut point, « Orgueil et Parti pris », chef-d’œuvre de jeunesse, est inférieur à « Emma » où s’affirment pleinement l’intuition et la puissance créatrice de l’auteur. Avec « Bon sens et Sentimentalité », « Le Château de Mansfield », et « Persuasion », l’évolution morale que l’auteur étudie ne consiste pas, comme dans « Orgueil et Parti pris », dans le passage d’un sentiment à un autre. Ce sont les modes d’un même sentiment, sa croissance, ses transformations subtiles que nous suivons dans l’âme des héroïnes. Au premier abord, cette étude psychologique semble se rapprocher de la psychologie « statique » de Richardson, mais là où l’auteur de « Clarissa » n’avait trouvé matière qu’à de monotones et lourdes analyses, la pénétration et l’intuition de Jane Austen atteignent au rythme même de la vie intérieure. Cette notation des nuances, des fluctuations d’un même sentiment, donne au développement de l’intrigue un charme mystérieux. Les transitions soudaines de la joie et de la tendresse à la souffrance d’aimer, du découragement à l’espoir, accompagnent ici les différents moments de l’intrigue comme le murmure d’une source invisible s’ajoute à la beauté d’un paysage.

Entre « Le Château de Mansfield » et « Persuasion », Jane Austen revient, dans le plus brillant et le plus exquis de ses romans, « Emma », à la transformation du sentiment qui fait le sujet d’« Orgueil et Parti pris ». Mais l’étude psychologique a acquis la solidité, la plénitude qui lui manquaient dans le roman de 1796. L’évo-