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de piano, dessinent ou peignent, et surtout reçoivent leurs amies et font à celles-ci de fréquentes visites. Leur personne nous est moins connue que leur vie. Les traits de toutes ces héroïnes dont nous pouvons nous former une image si nette et si vivante, ne sont pas une seule fois décrits par l’auteur. Le seul « portrait » contenu dans l’œuvre tout entière se trouve dans « Emma », et il est tracé au cours d’une conversation entre deux amis de la jeune fille. « Pouvez-vous imaginer quelque chose plus près de la perfection que le visage et la personne d’Emma ?… Elle a de si beaux yeux, si vifs, des traits réguliers, une physionomie ouverte et un teint ! Quel éclat de santé, qu’elle est d’une jolie taille et bien proportionnée ! La santé se lit, non seulement dans sa fraîcheur, mais dans son air, dans son port de tête, dans son regard. On entend dire parfois qu’un enfant est « l’image de la santé », et, avec Emma, j’ai toujours cette même impression. Elle est la grâce et le charme mêmes, n’est-ce pas, Mr. Knightley ? ». [1] Si leurs charmantes personnes ne méritent pas de plus hautes louanges que d’être appelées « l’image de la santé », comment pourraient-elles nous être jamais données en exemple, comment pourraient-elles fournir le thème d’utiles enseignements moraux ? Car la santé et le bonheur sont des mérites qu’un auteur peut difficilement exhorter ses lecteurs à imiter. Il ne peut que les offrir à leur admiration et peut-être à leur envie.

Puisqu’elles ne répondaient ni à l’image que les romanciers du xviiie siècle avaient donnée jusqu’alors des héroïnes de roman, ni à l’idée des « vertus héroïques » sans lesquelles une jeune personne n’était point digne d’intéresser les lecteurs pendant quatre ou six volumes, le jugement du public à leur égard ne leur fut point, en général, très favorable. Non pas qu’Elizabeth Bennet, Emma ou Anne Elliot, aient jamais manqué d’admirateurs. Elles furent appréciées, mais seulement d’un

  1. Emma. Chap. V.