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sont d’une jeune personne qui n’a rien de la naïveté ou de la rusticité villageoises. Elle est « une jeune fille du monde » destinée à servir de modèle aux jeunes personnes qui, dans la vie réelle, tâcheront d’égaler en sensibilité, en timidité et en délicatesse, l’incomparable Evelina.

Les héroïnes de Jane Austen — et c’est là ce qui tout d’abord les distingue des Clarissa et des Evelina — n’ont en elles, comme Catherine de « L’abbaye de Northanger », « rien qui semble les destiner à devenir des héroïnes de roman ». Elles sont héroïnes par l’accident qui leur fait occuper le premier rôle dans une histoire d’amour, mais ne montrent point ces mérites ou ces infortunes éclatantes qui élèvent une jeune fille au-dessus du commun des mortelles. Ne possédant ni vertu surhumaine, ni beauté nonpareille, elles nous apparaissent dans toute la simplicité et dans toute la variété de leur caractère. Elles n’ont point d’attitude à prendre, ni de pose à garder. Elles n’ont qu’à être à chaque moment de la journée simplement ce qu’elles sont : gentilles, assez ignorantes, tristes lorsque les circonstances les obligent à l’être, et gaies, parce qu’elles sont jeunes et bien portantes, aussi souvent que la gaieté n’est pas hors de propos. Pour la première fois, le roman nous montre des héroïnes qui ne s’élèvent jamais au-dessus du niveau de la réalité, qui ne sont ni des anges ni des divinités, et qui, placées dans un milieu bourgeois et tranquille, sont faites pour y vivre heureuses. Elles sont soumises à toutes les contingences auxquelles, jusqu’alors, les héroïnes de roman avaient le plus souvent été supérieures. Au retour d’une longue promenade à travers la campagne, sous une pluie battante, elles arrivent « les chevilles rompues, avec des bas tachés de boue et les joues empourprées par l’exercice ». [1]

Leur vie de tous les jours est, comme leur caractère, tranquille et unie. Elles s’occupent à broder, à faire des franges, jouent sans grand talent quelques morceaux

  1. Orgueil et Parti pris. Chap. VII.