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mariage fondé sur un amour qui n’est qu’un caprice fugitif des sens et de l’imagination est pure folie.

Entre ces deux extrêmes et bien au-dessous d’une union parfaite comme celle d’Elizabeth et de Darcy ou d’Emma et de Mr. Knightley, il est des mariages de raison auxquels les jeunes filles peuvent et doivent consentir. Persuadée « que des chagrins d’amour n’ont jamais tué personne », [1] et, surtout, observant de trop près la réalité pour ne pas savoir que le besoin d’aimer peut ramener à l’amour un cœur que l’amour a déjà meurtri, Jane Austen représente comme possible et même comme probable un second attachement chez une jeune fille qui n’est cependant ni légère ni sentimentale. Fanny Price, si Edmond Bertram épousait Miss Crawford, consentirait au bout d’un certain temps à devenir la femme d’Henry Crawford. Anne Elliot également, envisage un instant avec complaisance la perspective d’un mariage avec son cousin, bien qu’elle n’ait pas cessé d’aimer le capitaine Wentworth. Si les circonstances ont détruit un rêve tendrement caressé, après une saison de deuil, il faut recommencer à vivre. Il n’est pas de douleurs qu’on ne saurait guérir ni de catastrophes irréparables tant que les forces de la vie peuvent encore agir. Malgré les désillusions et parce que nous tendons tous instinctivement à une condition d’équilibre réalisée lorsque nous nous sentons en harmonie avec nous-mêmes et avec la vie, nous échafaudons un nouveau bonheur sur les ruines d’un bonheur détruit. Et, merveille plus grande encore, nous savons puiser dans la satisfaction moyenne de l’heure présente le réconfort qui nous fait oublier les grandes joies et les grandes douleurs du passé. Aussi Fanny ne serait-elle point volage, mais seulement fidèle à la loi de sa nature et de la vie, en épousant Henry Crawford : « S’il avait persévéré et s’il avait agi honnêtement, Fanny aurait certainement été sa récompense — récompense accordée de grand cœur — dès qu’un laps de temps raisonnable se serait écoulé entre ce mariage et celui d’Edmond ». De même, Fanny qui a

  1. Lettres. 23 septembre 1813.