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chez cette amoureuse si tendre, si vibrante, vivant si exclusivement dans le monde du sentiment, une série de déceptions amères. Elle a donné son cœur à Willoughby, se croit aimée de lui, espère un instant devenir sa femme. Cependant cet amour spontanément éclos en son cœur a quelque chose de trop passionné, de trop exclusif. Malgré les sages avertissements de sa sœur Ellinor, Marianne ne veut pas comprendre que le bonheur dans le mariage dépend pour une certaine partie de considérations prosaïques telles que l’argent et la situation. Elle se jette éperdument vers l’amour. Quand Willoughby l’abandonne, elle veut mourir, incapable de supporter la douleur de vivre sans lui. Pourtant, les forces de la vie sont plus grandes en elle qu’elle ne le soupçonne. Et parce qu’un chagrin d’amour, à dix-huit ans, doit inévitablement être adouci, puis effacé, par le temps, parce que, aussi, Jane Austen nous montre dans ses romans la vie telle qu’elle est pour la plupart des humains, Marianne accueille un jour un nouvel amour bien différent de celui que lui avait inspiré Willoughby. Une dure leçon lui a appris le danger de vouloir créer, à force d’imagination et de tendresse, un monde idéal pour abriter un amour d’exception. La sensibilité qu’elle avait exaltée chez elle à plaisir, qui lui faisait trouver froide et calculatrice la prudence de sa sœur, n’a servi qu’à la faire souffrir. Pour qu’elle apprécie la valeur du bon sens et de la raison, il faut qu’une cruelle expérience lui prouve combien ils sont indispensables, et même en amour. Car, s’il n’est que sentiment et imagination, fleur de rêve au lieu d’être une fleur, moins belle peut-être, mais moins tôt fanée au grand jour delà réalité, il n’engendre que déceptions et souffrance. Marianne Dashwood — l’unique héroïne de Jane Austen dont le cœur gouverne la raison — après avoir cru sa vie à jamais brisée par la ruine de ses plus chères illusions, s’accommode, comme il faut le faire en ce monde, d’un bonheur relatif et moyen et d’un amour que son inexpérience et sa sentimentalité avaient jugé d’abord inacceptable.