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En passant de la foi en la vie que possèdent ses premières héroïnes au charme un peu douloureux de la fine Anne Elliot, Jane Austen retrace moins des aspects opposés du caractère féminin que des heures différentes de son développement. Anne Elliot est ce qu’Emma, Elizabeth on Fanny pourraient être à la fin de leur jeunesse si l’expérience et l’amour, en mûrissant leur caractère, avaient meurtri leur sensibilité. Mais toutes, qu’elles soient triomphantes et radieuses ou que leur grâce s’augmente par la tristesse, elles appartiennent à un milieu semblable. Elles ont reçu la même éducation, sont imbues des mêmes idées et des mêmes principes. Si le ton et l’atmosphère semblent gagner en « élégance » — comme on disait alors pour exprimer une plus grande distinction de ton et de manières, — si le cadre devient un peu plus riche dans les romans écrits à Chawton, il n’y a cependant qu’une différence de degré entre l’aisance des Bennet et la fortune des Bertram ou des Elliot. Une héroïne de Jane Austen, qu’elle soit née dans la famille d’un « squire » ou d’un « baronnet » est élevée d’une même façon, celle dont Mme Austen avait élevé ses filles à Steventon.

Dans les rares indications données sur l’enfance et l’éducation d’une Emma ou d’une Fanny on relève des détails qui expliquent certains traits de leur caractère ; on y trouve également — puisque Jane Austen s’inspire toujours de la réalité — des renseignements intéressants sur les coutumes du temps. Alors que des enfants de condition plus humble — filles de petits bourgeois ou de commerçants — sont élevées dans des pensions comme celle dont il est fait mention dans « Emma », l’éducation des filles de Mr. Bennet, de Mr. Woodhouse et de Sir Thomas Bertram se fait sous la direction de la mère ou d’une gouvernante. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire qu’elles apprennent grand’chose. « On les encourage à faire des lectures, on leur donne tous les maîtres qui leur sont nécessaires, mais s’il leur plaît d’être paresseuses, on ne les en empêche pas ». [1]

  1. Orgueil et Parti pris. Chap. XXIX.