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un jeune fermier des environs, elle explique à l’ignorante quelles raisons de convenances sociales s’opposent à une telle union. Elle lui a déjà déclaré qu’« un jeune fermier, qu’il aille à pied ou à cheval, est la dernière personne au monde qui puisse exciter sa curiosité », et qu’un homme de cette condition, par son aisance, comme par la bassesse de sa naissance, est à la fois trop indépendant et trop inférieur pour qu’une Miss Woodhouse lui fasse jamais l’honneur de s’apercevoir qu’il existe. Quand le jeune fermier, en une lettre fort bien tournée, fait à Harriet l’aveu de sa flamme, Emma avertit sa jeune amie des conséquences qu’entraînerait ce mariage : « Pendant que vous étiez dans l’indécision je ne vous ai rien laissé voir de mes sentiments, mais puisque vous êtes si entièrement résolue à répondre « Non », je n’hésite plus à vous dire combien je vous approuve… J’aurais eu un véritable chagrin à cesser de vous voir, ce qui aurait été inévitable si vous aviez épousé M. Martin. J’aurais perdu une amie, car je n’aurais pu continuer aucune relation avec une Mme Martin, de la ferme d’Abbey Mill… Vous vous seriez à jamais éloignée de tout ce qui est bonne société et il m’aurait fallu renoncer à vous ».

Le monde de la « gentry » se suffit à lui-même, mais il y a dans ses limites tant de figures différentes. Chacune d’elles exprime une personnalité, et parfois se rattache en même temps à un des types en qui de tout temps s’est incarné un des aspects de l’âme anglaise.

Nulle part comme dans la société anglaise, avec sa hiérarchie qui, de nos jours, subsiste encore malgré l’éclosion d’un esprit nouveau, le rôle du père dans la direction de la famille n’est d’une importance aussi grande. Cela est surtout vrai dans les classes supérieures où il est non seulement le chef de la famille, mais le possesseur du nom et de la fortune. Il exerce alors sur les siens quelque chose de l’autorité d’un roi sur des sujets bien aimés. Ainsi, dans « Le Château de Mansfield », le seul des romans de Jane Austen où le père tienne à honneur d’exer-