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comme lui, règnent en maîtres sur telle ou telle partie du comté. À l’exemple du « squire », sa femme et ses enfants s’accommodent assez bien de la vie à la campagne ; c’est dans le château et autour du domaine familial qu’ils trouvent leurs plus chères occupations et leurs plaisirs préférés. Lady Bertram, « sous prétexte de mauvaise santé, et en réalité par indolence », renonce à accompagner son mari à Londres chaque année et le laisse partir seul lorsqu’il va siéger au Parlement. Lady Middleton, qui veut passer pour une femme à la mode, arrive à Londres à la fin de janvier et y demeure aussi longtemps que son mari. Sir John Middleton, consent à rester éloigné de Barton Park, de son chenil et de ses écuries. Mais de tels exemples sont plutôt rares : Emma Woodhouse n’a jamais voyagé, elle n’a jamais vu la mer et les Miss Bennet n’ont quitté Longbourne que pour aller voir des amies dans le comté voisin.

L’horizon matériel de la « gentry » est borné mais son horizon mental l’est plus encore. Il n’y a pas d’inquiétude dans son atmosphère, pas de menace d’orage dans son ciel. La parfaite tranquillité, le contentement un peu béat de l’heure présente, la sécurité de l’avenir, engendrent chez elle une torpeur inconcevable, un égoïsme naïf qui s’affiche sans honte puisqu’il se croit parfaitement légitime. Comme des abeilles, vivant dans les limites de leur ruche qui leur est un univers, où chacune vaque à sa tâche, persuadée que tout ce qui existe est parfait si la ruche elle-même est prospère, les gentilshommes de Mansfield, les dames et les châtelaines de Kellynch Hall, de Hartfield, ou de Barton, ne doutent point de l’harmonie et du bonheur universel dont leur propre vie leur fournit une preuve évidente. Leur oreille n’est pas assez fine pour entendre, fut-ce même comme un lointain écho, la voix de l’humanité, — the still small voice of humanity. — Il semble que les agitations et les douleurs humaines soient arrêtées au seuil de leurs domaines comme des braconniers ou des voleurs, par les barrières de leurs parcs et