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ou le macabre qui caractérise les vingt dernières années du siècle. Nouvellement éveillée et cultivée sans relâche, la sentimentalité ne pouvait aller plus loin que l’avaient poussée Mackensie dans ses romans et Richard Cumberland dans ses comédies. Elle reprit une force nouvelle au contact du grand mouvement qui allait apporter à la pensée humaine une seconde renaissance : le romantisme. À l’émotion découverte par Richardson, le romantisme ajouta des éléments actifs et féconds : l’enthousiasme, la passion, le sens du mystère et de la beauté. Parmi ces éléments, l’enthousiasme et le sens de la beauté transformèrent lentement, graduellement, la poésie — endormie pendant des années dans les bandelettes étroites du classicisme — en une créature ailée, vivante et frémissante. La passion et le sens du mystère, en même temps qu’ils exerçaient sur la poésie une action profonde agirent non moins fortement sur le roman. Après avoir traduit l’éveil du cœur, le développement de l’imagination, le goût de la réalité saine et forte, le roman avec Walpole, Reckford, Mrs. Radcliffe, Matthew Gregory Lewis et Godwin, peignit le crime, le mystère, la folie, les passions déchaînées et furieuses ; il se détourna de la réalité, non pas pour évoquer des visions de rêve, mais les fantômes monstrueux d’un sommeil troublé par un cauchemar.

« Le Château d’Otrante » (1764) d’Horace Walpole fut le premier récit fantastique, et c’est dans les événements mystérieux accumulés à plaisir par le maître du castel pseudogothique de Strawberry Hill, qu’on trouve le point de départ d’une ère nouvelle dans le roman. Le décor, jusque-là considéré comme de peu d’importance, devient avec Mrs. Radclifte un élément essentiel. Gothique, oriental ou médiéval, le décor est dès lors indispensable pour créer l’atmosphère chargée de terreur et de mystère dans laquelle évoluent de tragiques héros et de pitoyables héroïnes. La nature et son pouvoir subtil, à chaque heure, dans chacun de ses aspects, ténèbres et silence de minuit, gémissements des branches qui plient devant la tempête, clair de lune paisible et glacé,