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voles et à écouter avec attention les paroles des hommes cultivés et d’esprit solide en compagnie desquels elles pourront se trouver : « Si vous rencontrez des hommes instruits et qu’il leur arrive de parler d’art et de sciences où vous ne pouvez rien comprendre, vous aurez cependant plus de profit à les écouter qu’à écouter les fadaises et les sottises dont est faite la conversation de votre sexe. Mais si ces hommes ont autant d’éducation que de savoir, ils entameront rarement devant vous un entretien auquel vous ne puissiez prendre aucun intérêt et auquel, avec le temps, vous ne puissiez espérer prendre part… » Il ajoute : « Je ne saurais nommer une qualité précieuse chez un homme, qui ne le soit également chez une femme ». [1]

À mesure que disparaissent la licence du langage et la cynique galanterie de la Restauration, la situation de la femme se modifie dans la société anglaise. Un grand changement s’est déjà opéré lorsque Swift engage ses contemporaines à acquérir les qualités d’un « honnête homme » que La Bruyère, quelque trente ans plus tôt, souhaitait trouver chez une jolie femme. D’une génération à l’autre, l’influence des femmes devait grandir ; les filles de celles qui avaient appris à lire dans les pages du « Spectateur » allaient demander à Richardson d’écrire pour elles « Paméla » et « Clarissa ». Plus tard, dans son capricieux récit des aventures de Tristam Shandy, Sterne prend plaisir à s’adresser tout spécialement à des lectrices. Il interrompt maintes fois sa narration pour répondre à une question posée par une « belle dame » — a fair lady — ou pour recommander à son interlocutrice « de s’arrêter dans la lecture aussitôt qu’elle sera arrivée jusqu’à ce point et de relire attentivement tout le chapitre ». [2]

Les femmes dont se compose le public féminin au xviiie siècle, celles pour qui Addison écrit et celles qui décident de la vogue d’un roman, appartiennent à une classe différente et vivent dans un autre milieu que celles

  1. Swift. Letter to a very young Lady on her marriage.
  2. Sterne. Tristam Shandy. Chap. XX.