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étude solide et documentée où sont mis en lumière plusieurs incidents jusque-là ignorés de la vie de Jane Austen,[1] est d’avis que « Cassandre Austen ayant détruit toutes les lettres qui avaient trait à la vie sentimentale de sa sœur, on peut considérer le passage en question comme à moitié ironique » (half humorous). Cependant cette « raison toute personnelle » ne se rattacherait-elle pas à ce mystérieux roman d’amour, à ce jardin secret dans une existence dont le détail extérieur seul nous est connu ? L’ami dont la visite est attendue, à la venue duquel la dignité et l’affection de Jane Austen sont également intéressées, ne serait-il pas le jeune clergyman auquel elle s’était liée par un engagement tacite avant de déclarer ouvertement ses fiançailles ?

Il est impossible de trancher la question, mais une chose est du moins certaine : cet épisode qui contient toute la vie sentimentale de Jane Austen est à l’origine du changement qu’on remarque dans les trois derniers romans. Dans « Orgueil et Parti Pris » comme dans « Bon Sens et Sentimentalité » et dans « L’abbaye de Northanger », l’amour ne dépasse la sympathie ou la camaraderie que pour devenir chez Marianne Dashwod un attachement romanesque, une passagère folie dont la jeune fille s’étonne lorsque la raison a repris sur elle son empire. Les héroïnes de ces romans sont aimables et aimées. Mais ces charmantes fiancées qui deviennent des compagnes parfaites, appellent du nom d’amour quelque chose qui est seulement une grande et solide amitié. De ces héroïnes à la petite Fanny du « Château de Mansfield » à la brillante Emma, à l’exquise Anne Elliot, quelle différence ! Car celles-ci, sans être des amoureuses, savent cependant aimer. Le secret de leur pensée est révélé avec une justesse et une pénétration dont, suivant la remarque d’un critique, « seule est capable une femme et une femme faisant appel à ses propres souvenirs ».[2]

  1. Jane Austen, her life and her letters. London 1813.
  2. Quarterly Review 1821. Archbishop Whately.