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pour le même prix qu’il me faudrait mettre à une prune. Je ne me déciderai pas à acheter de fruits avant de recevoir de nouvelles instructions. Je ne peux pas m’empêcher de trouver qu’il est plus naturel de voir des fleurs, et non pas des fruits, pousser sur une tête. Quel est votre avis là-dessus ? »[1]

De retour à Steventon, après cet agréable séjour à Bath, la petite pointe d’impatience déjà sensible dans quelques lettres de l’année précédente, perce de nouveau. Non pas que Jane Austen ait perdu sa bonne humeur et son entrain accoutumés, mais ses remarques deviennent parfois un peu acerbes. L’étroitesse de son milieu, tout ce qu’il y a de monotone, d’artificiel, dans la société où elle vit, commence à agir sur elle. Sa perspicacité dans le jugement d’un caractère, sa tendance à remarquer les ridicules des gens qu’elle rencontre n’ont plus leur aménité première. Elle a même certaines phrases acides, à l’égard de jeunes gens et jeunes filles rencontrés au bal. Il ne s’agit point là d’un mouvement de dépit personnel, car elle est toujours la jolie Miss Austen et danse « neuf fois sur dix », mais après le bal elle raconte à Cassandre qu’« il y avait hier au soir pénurie de cavaliers, surtout de cavaliers qui fussent bons à quelque chose ». Elle lui écrit après un autre bal qu’« il y avait très peu de jolies femmes et celles-ci n’étaient que tout au plus passables ». Une jeune fille lui a paru « un bien singulier animal au cou blanc » et deux sœurs lui ont semblé « assez jolies avec beaucoup de nez ». Elle s’amuse encore dans le monde, mais surtout parce qu’elle aime à danser et à mettre une robe nouvelle. Les gens chez qui, en 1796, elle croyait trouver un inépuisable sujet d’études, n’ont plus rien, même dans leur insignifiance et leur stupidité, de nouveau à ses yeux. Elle ne trouve plus un plaisir aussi vif à les observer et son esprit s’emploie à relever chez eux, sans la moindre bienveillance, de légers ridicules ou des travers auxquels il est mesquin de s’attacher.

  1. Lettres. 11 juin 1799.