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il y a cependant des hommes trop raisonnables et trop instruits pour désirer trouver chez les femmes autre chose que de l’ignorance ». Il n’y a dans cette ironie aucune note d’amertume ou de rancune personnelle. Mais si la jolie Miss Austen reçoit dans le monde la part de compliments qu’il faut à sa très légitime vanité, son bon sens se révolte à l’idée que par une contradiction incompréhensible de la logique masculine un homme intelligent puisse aimer et rechercher la sottise chez une femme.

Les digressions, assez nombreuses et toujours charmantes, dans lesquelles l’auteur s’adresse au lecteur sur le ton d’une causerie familière, sont encore un des traits par où « L’abbaye de Northanger » se différencie d’« Orgueil et Parti pris » et de « Bon Sens et Sentimentalité ». Néanmoins, ici comme dans les deux premiers romans, le mérite principal de l’œuvre réside dans la création de personnages dont la physionomie, si brièvement indiquée qu’elle soit, demeure dans notre mémoire. Catherine Morland, la figure centrale de « L’abbaye de Northanger », n’est pas à proprement parler une héroïne ou du moins une héroïne de roman, dans le sens qu’on donnait à ce nom à la fin du xviiie siècle. Elle est plutôt, si l’on peut inventer un mot nouveau pour décrire une figure nouvelle, une « anti-héroïne ». Sa personne, sa situation, ses aventures, sa conduite, sont en tous points l’opposé de ce qu’a consacré la tradition. Il plaît à l’auteur de s’occuper d’elle et c’est à cet accident heureux, et non point au don fatal de la beauté ou à quelque autre faveur de la destinée, que Catherine doit de nous être présentée. Sa naïveté, sa franchise, sa nature « ouverte, candide, sans affectation et sans ruse, capable d’aimer fortement mais simplement, sans jamais nourrir de prétentions ni connaître de déguisement », gagnent le cœur du spirituel et brillant Henry Tilney. Mais Jane Austen a soin de nous dire qu’il s’agit là d’un sentiment vrai, d’un attachement solide, bien différents de ceux qu’inspirent d’ordinaire les jeunes personnes dont les romanciers récompensent la