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À la fois satire du genre que Mrs. Radcliffe cultivait avec tant de succès et récit humoristique des aventures d’une jeune fille crédule et naïve, « L’abbaye de Northanger » occupe dans l’œuvre de Jane Austen une place à part. Parfois, les deux éléments dont le roman est composé se fondent harmonieusement, puis ils se dissocient si bien qu’il ne reste plus rien, à certains chapitres, de la satire ou de la parodie du début. Jane Austen étudie tantôt l’iniluence de lectures romanesques sur un esprit peu averti et tantôt simplement des caractères et des situations. Une seule chose demeure constante : l’humour à la lumière duquel l’auteur atteint son double but de se moquer du roman à la Radcliffe et de peindre la vie et les gens tels qu’ils sont. Les autres romans de Jane Austen ont gardé une exquise fraîcheur, ils ne « datent » pas, ils sont toujours jeunes parce qu’ils sont toujours vrais par leur fine analyse psychologique et leur observation pénétrante. Seul, « L’abbaye de Northanger » a vieilli. La critique, cependant si alerte et si fine, de romans tels que « Les Mystères d’Udolpho », « Le Nécromant de la Forêt-Noire » ou « La Cloche de Minuit », a depuis longtemps perdu l’intérêt et la portée qu’elle avait à l’époque où les ouvrages de Mrs. Radcliffe et de ses imitateurs procuraient à d’innombrables lectrices de délicieux frissons de terreur. Il ne reste plus à ces pages que le charme de leur spirituelle vivacité, de leur souriante ironie. La valeur de leur satire a disparu en même temps que l’objet de cette même satire. Pour goûter pleinement les pages où l’auteur tourne en ridicule l’invraisemblance et la sentimentalité des « Mystères d’Udolpho », il faudrait pouvoir prendre encore quelque intérêt aux aventures qui remplissaient de surprise et de pitié le cœur de nos arrières-grand’mères. D’ailleurs, si Jane Austen commença à écrire dans « L’abbaye de Northanger » une satire humoristique, elle renonça peu à peu à son intention première. À mesure que son récit avançait, son goût pour l’étude du réel et l’observation des caractères l’amenait insensiblement à