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Parfois, au milieu de ce gentil bavardage, on relève le titre d’un roman que lisent alors les habitants du presbytère. « La Cloche de Minuit » de Mrs. Radcliffe, « Fitz-Albini » d’Egerton, « Le voyage aux Hébrides » et la « Vie de Johnson » de Boswell sont, avec les poèmes de Cowper, les seuls ouvrages dont parlent les lettres de 1798. « La Cloche de Minuit », dont il est intéressant de retrouver le titre dans la correspondance de Jane Austen, fait partie de la liste des livres qu’elle fera lire à son héroïne dans « L’abbaye de Northanger ». D’ailleurs, Jane Austen, tout en se moquant des romans à la Radcliffe, ne laisse pas d’avoir un goût très vif pour les ouvrages d’imagination. Elle écrit en décembre 1798 : « Je viens de recevoir un billet très poli de Mme Martin, me demandant de m’abonner à la bibliothèque qu’elle va ouvrir en janvier… Pour m’engager à devenir une de ses clientes, elle me dit que son choix de livres ne comprendra pas seulement des romans mais des ouvrages de tout genre. Elle aurait pu se dispenser de dire ce petit mensonge, surtout en s’adressant à des gens comme nous, qui sommes grands liseurs de romans et n’éprouvons aucune honte à l’être ». Ce fut peut-être parce qu’elle avait lu trop de mauvais romans, « où les personnages apparaissent seulement pour que l’auteur ait le plaisir de les décrire », [1] que Jane Austen résolut de faire, dans une nouvelle œuvre, la satire d’un genre faux et ridicule. À l’invraisemblance, à la sentimentalité mises en vogue par ces romans, elle entreprit d’opposer, dans un même récit, une vision humoristique des choses et des caractères. Après avoir rencontré dans les livres de son époque tant de déplorables Matildas, d’Elizas infortunées ou de larmoyantes Julias, il lui parut amusant de mettre en scène une héroïne « que personne n’aurait pu croire destinée à un pareil sort », et de lui faire trouver le bonheur, non pas après de tragiques et lamentables aventures, mais grâce au seul pouvoir de sa jeunesse et de sa simplicité.

  1. Lettres. 25 novembre 1798.