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continue à bien se porter, son appétit est bon, ses nuits de même, mais elle se plaint de temps en temps d’asthme, d’hydropisie, de pleurésie et d’une maladie de foie ». [1] C’est au contraire sur un ton de sincère fierté qu’elle raconte à sa sœur ses prouesses de ménagère : « J’ai les clés de la cave et de l’office et, par deux fois, depuis que j’ai commencé cette lettre, il m’a fallu aller donner des ordres à la cuisine… Ma mère me charge de vous mander que je suis une excellente maîtresse de maison. Je lui obéis d’autant plus volontiers que je me flatte de m’acquitter de ce rôle mieux que d’aucun autre. La raison en est que je prends toujours soin de faire accommoder les plats que j’aime ; c’est en cela que, à mon sens, réside le principal attrait des occupations domestiques ».

En l’absence de Cassandre, c’est à Jane qu’incombe le devoir d’aller visiter les pauvres et les malades du village, devoir qu’elle ne met aucun empressement à remplir. Elle se rend dans les chaumières, porte du bouillon aux malades, parle gentiment aux paysans, écoute patiemment leurs doléances, mais sans oublier un instant que Miss Jane Austen appartient à une autre race, et, par droit de naissance, est infiniment au-dessus de ces pauvres gens. À une époque où seulement quelques créatures d’élite, un John Howard, une Elizabeth Fry, sentent s’éveiller en leur âme et éveillent autour d’elles la conscience des injustices sociales et le remords devant « ce que l’homme a fait de l’homme », Jane Austen n’éprouve au spectacle de la misère aucune pitié fraternelle. La douleur, la pauvreté dont elle est témoin la choquent comme une faute de goût qu’elle tâche d’oublier au plus vite. Les paroles qu’elle placera plus tard dans la bouche d’Emma Woodhouse résument les impressions rapportées de ses visites aux chaumières de Steventon : « Si nous éprouvons envers les malheu-

  1. Lettres. 18 décembre 1798.