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soigneusement, puis fit publier par Thomas Egerfon. Les lettres de cette époque contiennent quelques phrases où se trahit l’intérêt mêlé de joie et d’anxiété avec lequel Jane Austen surveilla la publication de son roman : « Je ne suis jamais trop occupée, écrit-elle en avril, pour penser à « Bon Sens et Sentimentalité ». Je ne peux pas plus l’oublier qu’une mère n’oublie son nourrisson, et vous suis infiniment obligée de vos questions. On m’a déjà donné deux feuilles de mes épreuves à corriger, mais la dernière ne me mène pas plus loin que l’arrivée de Willoughby… Je n’ose espérer que mon livre paraîtra en juin. Je suis très grandement flattée de l’intérêt que Mme K. prend à mon ouvrage et, quoi qu’il advienne ensuite de sa bonne opinion à mon égard, je souhaite pouvoir satisfaire sa curiosité le plus tôt possible. Je crois qu’elle aimera mon Ellinor, mais je n’ose compter sur rien de plus ». [1] Elle ne doute pas que « son » Ellinor dont elle parle avec une délicieuse pointe d’orgueil maternel, n’obtienne les suffrages de ses amis, mais elle n’est pas sans inquiétude sur l’accueil que le public réserve à son livre. Elle ne veut pas lire de romans nouveaux, de peur de découvrir en les lisant qu’on a déjà traité son sujet et étudié ses personnages. Elle est partagée entre l’envie de voir un de ses manuscrits transformé en un roman en trois volumes et la crainte que ces trois volumes soient lus seulement par les gens qui s’intéressent personnellement à l’auteur.

Le succès de « Bon Sens et Sentimentalité » calma les craintes et dépassa de toutes façons les modestes espoirs de Jane Austen. La vente du récit écrit « par une dame » — « Sense and Sensibility, by a lady » — rapporta à l’auteur une somme de cent cinquante livres sterling. Devant la fortune inespérée du premier roman qu’elle publiait, Jane Austen s’étonna « de retirer un si grand profit de ce qui lui avait coûté si peu ». [2] La correspondance de l’année

  1. Lettres. 25 avril 1811.
  2. Memoir. Chap. VIII, page 130.