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comprise ni dans les occupations mondaines, ni dans l’intimité familiale, échappe à ses regards. Jeune fille, et jeune fille vivant dans un milieu de province fort resserré, sans contact avec la vie plus large, plus complexe de la capitale, où les hommes et les femmes se rencontrent à la promenade, au théâtre, en mille occasions que n’offre pas la vie à la campagne, Jane Austen ignore ou ne connaît que par ouï-dire une grande partie des choses auxquelles s’intéressent les hommes de son temps. De là, la moindre importance qu’elle donne à un personnage comme Darcy et l’angle toujours semblable sous lequel elle l’aperçoit, Darcy n’existe à ses yeux que par les sentiments qu’il éprouve à l’égard d’Elizabeth. Le reste de sa vie et de son caractère est indiqué très rapidement. Son orgueil qui lui Tait d’abord mépriser la jeune fille, sa sincérité, toujours entière aussi bien envers lui-même qu’envers les autres, mais parfois blessante, nous sont seuls parfaitement connus. D’ailleurs, le taciturne Darcy doit forcément rester étranger et lointain en comparaison d’autres personnages, moins importants mais plus loquaces, dans un roman où la personnalité de chacun d’entre eux se révèle dans la conversation. Pour être convaincus qu’Elizabeth trouvera le bonheur en épousant Darcy, il faudrait nous en rapporter entièrement, ou presque, au jugement et au bon sens de la jeune fille, n’étaient les quelques phrases dans lesquelles, aux dernières pages du roman, l’heureux fiancé avoue le changement opéré en lui par le premier refus et les reproches d’Elizabeth : « J’étais venu à vous sans le moins doute au sujet de votre accueil. Vous m’avez montré ce que valaient mes prétentions de plaire à une femme qui méritait d’être aimée. Mon intention, plus tard, a été de vous prouver par toutes les attentions possibles que je n’avais pas l’âme assez basse pour vous garder rancune de ce qui s’était passé. J’espérais obtenir votre pardon et diminuer la mauvaise opinion que vous aviez de moi en vous faisant voir que j’avais tenu compte de vos reproches ». [1]

  1. Chap. LVIII.