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temps et ma peine ». Plus tard encore, en 1811, une réflexion dont l’insouciant et franc égoïsme nous est pénible, fait voir que les années n’ont pas agrandi le cercle de ses sympathies et que la femme demeure ce que la jeune fille avait été. Entre une plaisanterie au sujet de deux clergymen, nouveaux venus dans le pays, et le récit d’une visite à une jeune personne qui a « des cheveux noirs et un teint assorti », se place cette remarque sur la guerre : « Quelle terrible chose que tant d’hommes soient tués ! Quel bonheur de ne s’intéresser à aucun d’entre eux ! » [1] De même qu’elle ne saurait s’attendrir sur le sort de ces inconnus, elle éprouve quelque impatience à voir déplorer autour d’elle la mort d’un des héros de la guerre d’Espagne, Sir John Moore. Sa raison n’accepte pas qu’on pare de toutes les qualités morales, après une mort héroïque, un homme dont on ne sait rien, sinon qu’il possédait de grandes vertus militaires. Alors que toute l’Angleterre retentit des louanges de Sir John Moore et l’égale à un Bayard, Miss Austen ne cache pas qu’elle trouve un pareil enthousiasme fort inconsidéré : « Je suis fâchée d’apprendre que la mère de Sir John Moore vit encore et pourtant, tout héros qu’il était, il n’était peut-être pas un fils très nécessaire à son bonheur… J’aurais voulu qu’il se montrât dans la mort un chrétien en même temps qu’un héros. Dieu merci, nous n’avons personne à l’armée à qui nous intéresser particulièrement personne qui nous touche de plus près que Sir John lui-même ». [2] En 1813, elle écrira encore cette phrase caractéristique à propos de la « Vie de Nelson » que Southey vient d’achever : « Je suis lasse des « Vie de Nelson » sans en avoir jamais lu aucune. Je lirai celle-ci néanmoins, à condition que le nom de Frank y soit cité ». [3] Ni généreuses pensées, ni sympathies plus larges qu’une sympathie personnelle ne

  1. Lettres. 31 mai 1811.
  2. Lettres. 30 janvier 1809.
  3. Lettres. 11 octobre 1813.