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en fut-il où se révéla, en quelque occasion importante dont le secret ne fut point trahi, le meilleur des qualités de pondération, de bon sens, de force latente mais réelle qu’on devine dans la correspondance publiée en 1884. Mais les deux volumes de cette correspondance contiennent seulement les lettres qui, par leur insignifiance même, furent considérées comme pouvant être un jour livrées au public. (Cassandre Austen, à qui presque toutes les lettres de Jane avaient été adressées, vécut assez longtemps — jusqu’en 1845 pour voir grandir la renommée de sa sœur. Elle put prévoir qu’un jour viendrait où tout ce qu’avait écrit l’auteur d’ « Orgueil et Parti pris » serait recherché par les biographes et les critiques. Redoutant d’exposer à des regards étrangers des pages d’un caractère trop personnel, elle fit un choix dans les lettres de sa sœur et ne conserva que celles où rien de vraiment intime n’était révélé. En agissant ainsi, et quoi que nous ayons pu perdre à son noble scrupule, elle ne fit que se conformer aux intentions souvent affirmées de sa sœur. Car même à l’heure où ses romans commençaient à attirer sur elle l’attention, Jane Austen ne consentit jamais à livrer plus que son œuvre à la curiosité ou à l’admiration de ses lecteurs.

Les pages aimables et sans relief où Jane Austen narre spirituellement les menus faits de sa vie journalière nous permettent de mesurer à leurs omissions aussi bien qu’à leur contenu, les limites de la pensée, de l’intelligence et de la curiosité de leur auteur. L’univers pour elle est enfermé dans le cercle de ses affections familiales et de ses occupations habituelles, parmi lesquelles son œuvre d’écrivain n’a que la valeur d’un passe-temps. Le monde extérieur, qu’elle observe avec une attention soutenue et pénétrante, ne dépasse pas l’horizon que ses yeux peuvent atteindre. Son imagination n’a pas un champ plus vaste que son regard; l’espace et le temps semblent être contenus pour elle dans les limites de sa vision matérielle et dans les heures de chaque journée. La grande tempête