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ni de trouver un plus vaste champ d’études, elle put commencer à peindre sur ses petits « feuillets d’ivoire à peine large de deux pouces » [1] les tableaux où, sous les atours de son temps et les coutumes de son milieu, se révèle l’éternelle vérité de la nature humaine.

Le premier des romans que Jane Austen donna au public — et que beaucoup jugent sa meilleure œuvre fut écrit à vingt et un ans. Aussi n’est-il pas étonnant que les admirateurs d’« Orgueil et Parti pris » soient tentés d’attribuer à l’auteur une incomparable sûreté d’instinct qui lui aurait fait trouver sans hésitations une forme parfaitement adaptée aux scènes qu’il lui plaisait d’étudier. La vérité, moins flatteuse que l’illusion d’une perfection atteinte sans effort par un être exceptionnellement doué, est que, avant d’écrire « Orgueil et Parti pris » en 1796, Jane Austen chercha vainement pendant deux ou trois ans un mode d’expression conforme à son tempérament. Suivant le témoignage de son premier biographe, « entre ses compositions enfantines et ses œuvres qui demeurent, se place une autre étape de son développement pendant laquelle elle écrivit quelques petits romans non sans mérite, mais qu’elle ne jugea pas dignes d’être publiés. Pendant cette période de préparation, il semble que son esprit se soit engagé dans une direction bien différente de celle où il s’orienta plus tard. Au lieu d’offrir de fidèles images de la nature, ces récits étaient surtout des parodies où elle tournait en ridicule les événements invraisemblables et la sentimentalité excessive qu’elle avait rencontrés dans maint insipide roman ». [2] On retrouvera dans « L’abbaye de Northanger » quelque chose de l’attitude adoptée par Jane Austen pendant ses années d’apprentissage. Avec l’autorité que lui donne la pleine possession

  1. Lettres, 16 décembre 1816. « The little bit of ivory — two inches wide — on which I write », cité dans « Memoir of Jane Austen ». Page 155.
  2. Memoir of Jane Austen. Page 46.