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tard, Jane Austen se demande ce qu’est devenue « la timidité qu’il y avait autrefois de par le monde », [1] elle se souvient de ce qu’elle avait été petite fille et ce souvenir la couvre de confusion. Plus tard encore, dans le « Château de Mansfield » ce qu’elle dit de la timidité de Fanny « tremblant devant tout le monde, embarrassée d’elle-même », n’aimant que la société de ses frères et sœurs, est un souvenir de la fillette, gaie et rieuse parmi des enfants de son âge, mais muette et gauche devant des étrangers et plus gauche que jamais devant une cousine qui, ayant l’habitude du monde, ne s’imaginait pas qu’on pût être timide. Dans une lettre écrite en 1791, Mme de Feuillide parle d’ailleurs de Jane en termes bien différents : « Quant aux deux jeunes filles, — écrit-elle à Phila en lui donnant des nouvelles des Austen, — on me dit qu’elles sont toutes deux des beautés parfaites (perfect beauties) et subjuguent tous les cœurs ». Quelque temps après elle ajoute : « Les deux sœurs sont, parait-il, les plus jolies filles d’Angleterre ». [2] De telles louanges témoignent plutôt de rafféction de celle qui les écrit que des charmes de celles qui en sont l’objet. À moins de supposer chez Jane Austen un changement plus grand encore que la métamorphose de Catherine Morland, laide, noire et disgracieuse, en une jeune fille que la dix-huitième année rend « presque jolie », [3] il est impossible de faire accorder la gaucherie qui frappe Miss Walter et la beauté dont parle la comtesse de Feuillide avec ce que nous apprendra bientôt une toile de Zoffani.

C’est encore à Mme de Feuillide que se rattache l’événement le plus tragique dont Jane Austen eut jamais connaissance. En 1792, M. de Feuillide, alors en Angleterre, fut informé que son congé étant expiré, il serait considéré comme émigré et verrait ses biens confisqués s’il demeurait plus longtemps à l’étranger. Il se hâta de retourner à

  1. Lettres. Février 1807.
  2. Jane Austen, her life and her letters. Page 43.
  3. L’abbaye de Northanger. Chap. I.