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davantage aux gros tomes d’histoire que renfermait, à côté d’ouvrages théologiques et de volumes de sermons, la bibliothèque d’un pasteur aussi orthodoxe et aussi cultivé que le révérend George Austen. Catherine Morland, la Jeune héroïne de « L’abbaye de Northanger », exprime au sujet de l’histoire des opinions qui doivent être celles de Jane Austen. L’histoire, au gré de Catherine, ne renferme « rien qui ne soit déplaisant ou fastidieux » ; qu’y trouve-t-on, sinon « des querelles entre papes et rois, avec des guerres et des pestes à chaque page » et, ce qui lui parait plus déplorable encore, « les hommes y sont tous méprisables et l’on n’y rencontre presque pas de figures féminines ». « Écrire l’histoire », ajoute-t-elle, par un gentil scrupule de n’être injuste envers personne, « est chose bonne et nécessaire, mais je me suis souvent étonnée qu’un homme ait jamais pu avoir, de gaieté de cœur, le courage d’entreprendre une pareille tache ». [1]

Ce que Jane Austen demandait à la lecture, c’était de la vie, présentée sous la forme concrète et familière de « figures féminines ». Où mieux trouver celle-ci que dans ces romans écrits pour les femmes, dont l’intérêt était concentré sur l’héroïne : Clarissa Harlowe, Evelina, Cecilia ? Aussi Jane Austen fit-elle des romans sa lecture favorite. Les ressources de la bibliothèque du pasteur ne lui permirent pas d’en connaître beaucoup, mais elle ne se lassa pas de lire et de relire les quelques volumes qu’elle avait à sa disposition. Suivant le témoignage de son premier biographe, « elle avait des œuvres de Richardson une connaissance que personne ne peut plus acquérir de nos jours, alors que le nombre et le mérite d’ouvrages moins importants ont détourné du grand maître du roman l’attention des lecteurs. Tous les détails relatés dans « Sir Charles Grandison », tout ce qui fut jamais dit ou eut jamais lieu dans le salon aux boiseries de cèdre lui était familier, et

  1. L’abbaye de Northanger. Chap. XIV.