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Il y avoit deux rangs de bancs qu’on avoit fait sortir du cœur de l’église pour les placer dans les allées du jardin, on pouvoit s’y asseoir. Le traiteur[1] étoit sensible, honnête et désintéressé. Les déténus qui en grande partie étaient des Anglais étaient affables et nous témoigneront le plus vif intérêt. Nous doutions de la réalité de ce que nous offraient de si merveilleux nos yeux éblouis. Les quatre premiers jours, malgré la deffense de communiquer au dehors, peuvent être compté pour des jours heureux. Nous étions tous sensibles à la perte de notre liberté, mais n’ayant rien à nous reprocher, nous supportions cette privation avec cette fermeté qui caractérise l’homme probe, le véritable républicain qui sait se soumettre aux lois. Comme représentans du peuple nous devions cet exemple a nos cohabitans ; nous le leur avons donné. Hélas ! nous ne prévoyons pas les dangers que nous courions et la scene qui se préparait pour nous et pour la perte de la liberté.

Le 9 thermidor (27 juillet), le concierge nous fait monter dans nos chambres à 8 heures, deux heures plutôt que de coutume. La garde fut doublée. À 10 heures nous entendîmes sonner le tocsin ; la sentinelle qui étoit postée plus bas que nos fenêtres dans .......... du jardin charge de fusils .......... que nous soupçonnions pour etre un homme capable de se livrer à toutes les cruautés qui lui seraient ordonnées, fait de fréquentes visites dans nos chambres, nous ordonne au nom de la loi de nous coucher et de dormir, il recommande aussi de laisser les clefs aux portes. Sentant la position affreuse dans laquelle nous pouvions nous trouver a chaque instant, nous nous décidâmes à veiller toute la nuit, résolus de nous déffendre jusqu’à la mort.

Le jour snt a 10 heures du matin, quelque prisonnier annonce avoir entendu crier dans la rue la chute du tyran Robespierre et complices. La nouvelle se répandait de plus en plus : chacun craignoit qu’elle ne fut pas vraie. À 1 heure on la sut positivement. La gaieté sempara de tous les cœurs et nos fronts devinrent radieux. Par ce triomphe de la vertu sur le crime nous avions lieu d’espérer notre liberté prochaine et notre réintégration dans le poste ou le peuple nous avait placés.

Le 15 du meme mois (2 août), nous fumes réunis au nombre de soixante députés, a l’Hôtel des Fermes. Cette maison etoit tres commode, au centre de la ville. Comme elle ne renfermait que des représentans du peuple on nous mit sous la direction immédiate du Comité de Salut public. On nous permit toute communication avec nos connaissances.

Le 5 fructidor (22 août) nous eûmes la douleur d’être distribués en cinq maisons différentes. Je fus transféré au ci-devant Carmes[2]. L’air y est sain et le jardin fort vaste, mais le concierge et les portes-clefs avoient un caractère très dur. Toute communication au dehors étoit déffendue. Nous ne pûmes nous louer que d’une chose, ce fut de n’etre pas assujetis

  1. M. Kernéis a lu « Le traitement ».
  2. Aux Carmes, le sang des massacres de septembre avait jailli sur les murs et jusqu’au plafond, et de larges traces noires perpétuaient le souvenir des horribles scènes qui s’y étaient passées deux ans auparavant (Kerviler ; notice Fleury : Recherches et a. t. I, p. 317).