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blement dechirée. (Nous l’avons vu arriver à Estadens[1] notre collègue.) Pour que nos lettres parvinsent, non seulement à nos épouses, enfans, parens et amis, mais même à la première poste, elles devoient passer par six ou sept mains différentes, vues et lues par des personnes qui en faisoient peu de cas.

Malgré la surveillance de nos argus qui veilloient jour et nuit pour empecher que de nos cachots, il ne sortit le moindre vent des persécutions que ces antropophages exerçaient, sur leurs proies, nous pûmes faire parvenir nos plaintes aux Comités de Salut public, de Sûreté générale et à nos collègues siégeant à la Convention nationale.

Le 4 thermidor (22 juillet), Amar et Vouland[2] vinrent nous faire une visite. Ils virent par leurs propres (yeux) une esquise des maux que nous souffrions. Ils verserent des larmes. Je n’en dis pas davantage.

Le 5 (23 juillet), nous fûmes transférés aux Bénédictins anglais au nombre de cinquante, y compris cinq détenus qu’on nous avait adjoints. Nous y arrivons à onze heures du soir. En attendant nos lits qui ne nous parvinrent que le lendemain à 10 heures du matin, nous ne pûmes nous reposer.

À la pointe du jour nous nous empressâmes de visiter notre nouvelle habitation. Nous vîmes avec un plaisir inexprimable l’avantage du changement de domicile : les chambres y sont commodes, point de grilles dans les croisées, ni de verouils sur nos portes : l’air y est pur et la vue superbe, on appercoit a deux lieues une campagne riante couverte d’arbres garnis de leurs feuilles. On pouvoit se promener depuis 9 heures du matin jusqu’à 10 heures du soir dans un jardin peu étendu, il est vrai, mais à l’ombre.

  1. Estadens (Antoine), député de la Haute-Garonne.
  2. Amar (Jean-Baptiste-André). conventionnel de l’Isère, un des ennemis les plus acharnés des Girondins, contre lesquels il provoqua des décrets d’accusation.

    Voulland (Jean-Henri), conventionnel du Gard, un des membres les plus violents du Comité de sûreté générale. (V. Dict. des Parlementaires).

    Il y avait dans les papiers du Comité de Sûreté générale une pétition des députés détenus aux Madelonnettes, qui se plaignaient amèrement « d’être traités avec tant de dureté, malgré leur qualité de représentants du peuple, qu’on leur refusait du sirop de vinaigre et les douceurs propres l’existence ». Ni Amar, ni Voulland ne s’étaient jusque-là préoccupés d’adoucir le sort de leurs collègues. Mais, tout d’un coup, — à la veille du 9 thermidor, — les bons apôtres menèrent grand fracas de la découverte qu’ils venaient de faire, et, courant à la prison, se firent amener leurs collègues : « Est-il bien vrai qu’on arrête votre correspondance ? » chevrotta Amar d’une voix attendrie. » Vous a-t-on refusé les douceurs de la vie, soit en café, soit en sirop, soit en chocolat, soit en fruits ? » reprit Voulland, qui pleurait presque. Et puis, tous les deux, avec une émotion débordante : « Parlez, parlez, chers collègues, le Comité de sûreté générale nous envoie vers vous, pour vous apporter des consolations et recevoir vos plaintes, afin de punir ceux qui ont avili en vous les représentants du peuple ». (L. Blanc : Hist de la Rév. Fse, t. II, p. 169). On trouvera le récit de cette visite aux prisonniers bien plus étendu, mais bien plus exact aux pièces justificatives du Rapport Courtois (n° XXXIII, p. 146 et suivantes).