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En effet l’administrateur parut et nous le confirma. Quelqu’un d’entre nous lui ayant rappellé qu’ayant refusé si longtems la translation de nos infortunés collègues malades, disant qu’il ne pouvait le permettre sans y être authorisé par le Comité de Sûreté générale, il devait à plus forte raison attendre son authorisation pour nous transférer tous. L’administrateur arrogant répondit : « L’ancienne administration était bonne ; la nouvelle ne l’est pas moins. Je peux disposer de vous comme des autres[1]. Je ne vous connois aucune qualité. Il y a longtemps que j’ai oublié que vous êtes députés. L’ancienne administration, ainsi que celle-ci ont été reconnues conspiratrices. »

Le 27 messidor (15 juillet), comme on nous l’avait annoncé la veille, nous fumes charroyés au nombre de quatre vingt aux Madelonnetes. Nos voitures étaient les chars de mort, à demi ouverts (les fourgons des guillotines). Nous fumes entassés quatorze dans chaque voiture sans bancs ni banquettes. Au coin des rues, aux portes et guichets de la maison d’où nous sortions et de celle où nous fumes conduits, on nous fit faire des stations pour nous montrer en spectacle aux yeux du peuple et attirer sur nous la vindicte publique. Nos bourreaux furent encore trompés. Nous ne vîmes sur notre passage que des citoyens honnêtes qui s’appitoyaient sur notre sort[2].

Mais nous vîmes avec peine que la femme de notre collègue Lefevre, député du département de la Seine-Inférieure[3] qui suivoit des yeux son mari, fut repoussée par un des conducteurs et menacée d’être arrêtée si elle continuait de marcher à la suite des voitures. La deffense nous fut faîte de tourner les yeux du côté du public.

À une heure et demie, nous arrivâmes aux Madelonnetes. Le concierge nommé Vaubertrand en nous inscrivant, nous refusa la qualité de députés. Tel étoit l’ordre qu’il avait reçu, car cet homme est connu pour être sensible, honete et cherche toutes les occasions d’adoucir le sort des malheureux clélenus[4]. Il n’y avoit pas de place pour nous recevoir. On fit sortir les

  1. M. Kernéis écrit « des unes connue des autres ».
  2. On trouvera la confirmation de ce récit dans plusieurs des pièces justificatives qui suivent le Rapport de Courtois fait au nom de la commission chargée de l’examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices. Voir p. 146, No xxxiiiA : Rapport de Teurtot et de Bigand, administrateurs de la police à Paris, sur des plaintes portées par quelques-uns des députés détenus, transférés aux Madelonettes. P. 149, No XXXIIIB : Réquisitoire de l’agent national Payan (sur le rapport ci-dessus), p. 150, No XXXIIIC : Rapport fait à la police par Faro, administrateur de police, sur l’entrevue qui a eu lieu entre les représentants du peuple Amar et Vontland, envoyés par le Comité de sûreté générale, et les députés détenus aux Madelonettes, p. 152, No XXXIIID : Rapport de Faro sur une lettre interceptée aux Madelonnettes, p. 153, No XXXIIIE : Copie de la lettre interceptée aux Madelonettes.
  3. Lefebvre (Pierre-Louis-Stanislas), ancien receveur du district de Gournay (Seine-Inférieure). V. Dict. des Parl.
  4. Sur Vaubertrand, v. Rapport Courtois. Pièce justificative. XXXIIIe : p. 153.