Page:Annales de Bretagne, Tome XXIX, n°1, nov. 1913.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aurait point de faits matériels à opposer. La Convention nomma aussi quatre de ses membres pour examiner, a notre insçu, nos papiers et correspondances.

Les questions sur lesquelles les détenus devoient répondre ont été affichées dans la prison, en voici à peu près les termes[1] ; 1o  Quel est ton nom, qualité, demeure et lieu de naissance ? 2o  Où étois-tu à l’époque du 10 août 1792, 1er  et 2 juin 1793. 3o  As-tu signé la pétition des 8000 et celle des 20000, ou quelqu’autres arrêtés liberticides ?

Dans trois semaines, cinq individus, de quatre cent prisonniers ont seulement été interrogés, sans que pas un seul n’ait obtenu son élargissement. Le lion dormait ; à son réveil il a été terrible.

Le 17 floréal (6 mai 1794), on nous fait tout à coup rentrer dans nos chambres. Des préposés de police nous déclarent qu’un arrêté du Comité de Sûreté générale les authorise à s’emparer du numéraire des détenus. Nous leur observons que notre indemnité étant fixée par un décret, ils ne pouvaient nous oter ce que la loi nous accorde, et que par conséquent cette mesure ne pouvait regarder les députés, qu’il faudroit du moins que nous fussions nommément compris dans l’arrêté pour que cette disposition s’étendît à nous. Toute observation fut inutile et l’on nous prit ce que chacun pouvoit avoir audelà de cinquante à soixante francs. Nos portefeuilles, malles, lits turent visités, on poussa même l’indécence jusqu’à nous taloner.

Vers la fin du meme mois, un administrateur de police, accompagné de plusieurs autres agens, éclairé par un flambeau funéraire qu’un deux portait en main, entre au millieu de la nuit dans nos chambres. Il nous enlève nos couteaux, cizeaux, canifs et rasoirs. Les mesures de rigueur prenaient chaque jour de nouvelles forces : ce qui pouvait le plus contribuer à fatiguer l’esprit, à abattre l’âme et à entrenir (sic) la douleur était uniquement le but qu’ils se proposaient : on nous menaçait chaque jour de la gamelle.

En effet, au commencement de messidor, nous y fumes soumis. On nous interdit toute communication au dehors, point de nouvelles particulières ni publiques ; on ignore jusqu’à l’existence des personnes auxquelles on tient par les doux liens de la nature ou les charmes de l’amitié ; pas une seule parole de paix et de consolation au dedans.

Le régime de la prison ne permettait qu’un seul repas, qui consistait dans une demie bouteille de vin falsifié, trois ou quatre onces de viande, dans une portion de légumes dont la mal propreté étoit dégoûtante. Le pain seul étoit abondant et supportable (c’étoit ma seule nourriture). On poussa la barbarie jusqu’à réfuser du petit lait aux vieillards et infirmes auxquels cette pension ne pouvoit suffire. Plusieurs en ont été incommodés.

Indignés de la manière avilisante dont on traitait des hommes non jugés, non même accusés, nous nous décidâmes à en informer les Comités du Salut public et de Sûreté générale de la Convention.

Le 26 messidor (14 juillet), le nouveau concierge, car on les changea dans presque toutes les prisons, nous prévint que nous allions être transférés.

  1. M. Kernéis a lu « la tenure ».