Page:Annales de Bretagne, Tome XXIX, n°1, nov. 1913.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de crier dans ses convulsions : « Ah, scélérat de Robespierre, tu m’assassines ! » [1].

Laurence[2], député du département de la Manche, malade lui-même à cette infirmerie, eut la douleur de le voir périr. Les abus funestes et révoltans de cet hospice étaient ce que la misère humaine peut offrir de plus déplorable. C’était la barque à Caron ; le médecin ne connaissait qu’une seule ptisane (sic) qu’il ordonnait indistinctement à tous malades, entassés sur de méchans grabats. Il sembloit que les personnes qui en étoient chargés, avoient fait pacte avec la mort. Un de ces agens nommés Ruil, autrement Rapiunt, en jargon de prisons voleur[3] s’emproche (sic) d’un lit sur lequel étaient étendus un mort et un mourant ; il prend les pieds du vivant pour l’arracher à revers. Celui-ci donne des marques de vie : « Ah, dit le barbare, ce n’est donc pas toi, c’est ton camarade. » Je cite ce trait de barbarie ; un est assez ; il faudrait un volume entier pour les détailler tous. Je n’en citerai que le moins possible.

Ces abus et les suites qui en étaient à craindre nous empêchèrent quelques tems après d’y faire transporter Laurenceot députe du Jura et St-Prix député du Département………[4], grièvement malade l’un et l’autre. Nous avons écrit plusieurs fois à l’administration de police pour qu’elle les fit transporter dans un local où ils pussent recevoir des secours devenus indispensables. Nos démarches, nos instances réitérées ne produisirent aucun effet et nos collègues restèrent dans nos chambres où nos lits se touchaient, et dont l’air déjà corrompu devenait également dangereux pour tous (mon lit se trouvait au pied de celui de St-Prix dans la chambre dite des sans-culotes). Ce ne fut qu’au bout d’un mois après que nous parvint l’authorisation de police. Laurençot était presque rétabli et St-Prix fut seul transféré.

Les administrateurs de police se gardaient bien d’entrer dans nos cachots, comme c’était leur devoir. L’odeur qui en exhalait, ne sentait point le parfum. Ils se bouchaient le nez en y entrant. Leurs visites n’étaient pas longues. Quelques injures grossières lancées à tord et à travers, voilà le

  1. Doublet (Pierre-Philippe), né au Bois d’Ennebourg, le 13 avril 1745, laboureur à Londinières (Seine-Inférieure), mourut effectivement à la prison de la Force, le 27 novembre 1793. (Dict. des Parlementaires).
  2. Laurence-Villedieu (André-François).
  3. « Les femmes, relate un détenu, furent les premières à passer au rapiotage. Cette expression technique a besoin de développement. À l’instant où l’on se propose de sortir un prisonnier de la souricière (où il vivait à ses frais) et de le rendre à ses nouveaux compagnons, il est fouillé, volé ; on ne lui laisse que son mouchoir. Boucles, couteaux, ciseaux, argent, assignats, or et bijoux, tout est pris ; vous vous trouvez nu et dépouillé. Ce brigandage s’appelle rapioter. Les femmes offraient à la brutalité des geôliers tout ce qui pouvait éveiller leurs féroces désirs et leurs plus dégoûtants propos… » Dauban : Les prisons de Paris, p. 435.
  4. Laurenceot (Jacques-Henri) était bien député du Jura, mais Quéinnec ayant oublié le département que représentait Saint-Prix, a laissé un espace en blanc. Il est question ici de Hector Soubeyran de Saint-Prix, conventionnel de l’Ardèche.