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la cour[1]. Cette cour a soixante pieds de largeur sur cinquante de longueur. Les murs qui la cernent sont hauts de cinquante pieds ; au millieu se trouve un hangar qui en occupe la tierce partie, et à plein pied, les latrines pratiquées dans l’angle de la maison. Il en sort continuellement des vapeurs méphytiques, qui, en arrachant les larmes des yeux, affectent en même temps le cerveau et l’estomac. Nous pûmes faire entrer un traiteur qui nous fournit à dîner. Depuis le repas frugal que je fis la veille à la Mairie, c’est-à-dire depuis vingt-quatre heures, j’étais à jeun : une pierre nous servoit de table et le ciel de toit. Quant aux napes, bancs et servietes, nous n’y pensions point. Tous les accidens de la saison nous étoient également préjudiciables : la pluie rendait l’air infect et nous privoit de la jouissance de la cour d’où au moins nous pouvions regarder et contempler le ciel ce beau présent de la divinité : les bêtes féroces n’on sont pas privées. Le froid rigoureux nous obligeoit pour ne pas géler de froid de baisser pendant la nuit nos quatre petites lucarnes ou de suffoquer de chaleur. La seule grâce qu’on nous fit, c’étoit de nous permettre d’écrire à nos familles et de faire entrer des vivres, hardes et linges. Les plus savans des guichetiers lisaient nos lettres et les remettoient à des commissionnaires qui, par la protection spéciale du concierge, et la permission expresse des administrateurs, avoient le droit de pénétrer dans nos sombres demeures.

Le 17 vendémiaire (8 octobre), cinq jours après notre arrestation, mon hôte sur la prière que je lui avois faite les jours précédens, me fait entrer un lit de sangle avec, un mauvais matelat, un traversin, une paire de draps et une couverture à moitié usée.

Comme le local que nous occupions ne pouvait nous contenir vu que le nombre des prisonniers croissait chaque jour, le 18 du même mois (9 octobre), quatorze d’entre nous et j’en étois du nombre, descendirent au rez de chaussée dans un parloir humide et commun à toute la prison[2]. La moitié que nous occupions, séparée par une grille de l’autre moitié, où logaient deux chiens et deux porte-clefs, avait vingt-quatre pieds de long sur douze de largeur. Nos lits étaient ployés le jour et entassés pour ne pas obstruer le passage. Nous avons payé ce loyer sur le pied de quinze livres par mois et par homme.

Nous ne pouvions que contracter des maladies dans un endroit aussi infect et aussi mal sain. Notre collègue Doublet, député de la Seine-Inférieure, cultivateur, y fut attaqué d’une fièvre putride. Après avoir langui parmi nous pendant trois semaines sans autre secour que ceux que nous pouvions lui donner, après avoir sollicité inutilement sa translation dans une maison de santé, il fut transporté à l’infirmerie de la prison, malgré notre répugnance à l’y voir entrer ; il étoit déjà sans connaissance. À peine voulut-on nous accorder de voir notre infortuné collègue, et sa femme, que la nouvelle de sa maladie, avait appellée de trente lieues, n’obtint la permission de voir son cher époux qu’à ses derniers moments. Il ne cessait

  1. M. Kernéis reproduit ainsi cette phrase : « À dix heures du matin, on nous ouvrit au moyen d’un escalier obscur verrouillé dans trois ou quatre endroits. Nous descendons dans la cour. »
  2. M. Kernéis écrit : « Un parloir… commun à toutes les prisons. »