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députés détenus avons été témoins ou victimes. Ils me serviront de notes sur les événements les plus remarquables de ma vie. L’histoire y suppléra ; c’est son domaine.


« Le 3e  8bre 1793 v. s, dans cette séance à jamais mémorable à plus d’un titre, Amar, thrésorier général de France sous l’ancien régime, monte à la tribune ; il propose qu’aucun membre n’ait à sortir de la salle de la Convention jusqu’à nouvel ordre : cette proposition est décrétée.

Il fait ensuite, au nom du Comité de Sûreté générale, un long rapport sur les 32 députés en arrestation depuis le 2 juin, concluant à ce qu’ils fussent décrétés d’arrestation, et comme par supplément, il demande le décret d’arrestation contre soixante-treize autres représentant du Peuple, non moins coupables, dit-il, que les premiers, et en voici la preuve en présentant notre déclaration sur les journées des 31 mai, 1er  et 2 juin.

Après une simple lecture de cette pièce, sans que pas un de nous ait pu élever la voix pour se faire entendre, ces deux propositions ont été décrétées.

Maintenant que le Peuple est éclairé sur notre conduite, le but que se proposoient nos oppresseurs n’est plus un problème. Ceux d’entre nous qui se trouvaient à cette séance étaient conduits au corps de garde de la Convention : plusieurs n’avaient rien pris, et il était 6 heures du soir. On nous permit de faire venir des alimens ; nous profitâmes de cette permission.

J’entendis une femme qui nous régardait à travers les croisées, dire à sa voisine : « Tiens, ces J. F. de conspirateurs, comme ils mangent ! » J’aime à croire qu’elle étoit égarée sur notre compte, ou commaire de Mme Crassoux[1]. Nous avons passés une grande partie de la nuit dans ce dépôt, assis ou debout.

À une heure du matin, on nous fit sortir de ce lieu. Une escorte de gens armés de piques et de fusils, rangés sur deux lignes dans la cour, avec des gens d’armes à cheval, formant le double rang, nous y attendaient. Nous fûmes conduits avec cet appareil à la Mairie. On nous fit défiler [2] dans le guichet. Là il nous fut ordonné, d’un ton qui ne souffre point de refus, de déposer nos cartes de députés.

On nous fourra ensuite dans un ci-devant grenier, pressés entre soixante autres détenus couchés et assis sur des bancs. Le pavé y était chargé de deux pouces de poussière de plâtre.

À dix heures, on distribua a chacun de nous une demie bouteille de vin, mais qui n’en avait que la couleur, et pour à peu près un sous de pain. Mon collègue Bohan[3] valétudinaire, me donna sa portion.

  1. Nous ne comprenons pas cette allusion. Le texte de M. Kernéis diffère un peu : « …elle était égarée sur notre compte. Oui commère de Mme Crassou ! nous avons passé une grande partie de la nuit dans ce dépôt assis ou debout. »
  2. M. Kernéis a lu « dévêtir ».
  3. Bohan (Alain, conventionnel du Finistère. (V. Dict. des Parlementaires, Biographie bretonne, etc. Aucun de ces recueils ne cite l’opuscule de Bohan « Convention nationale : Observations sur la constitution du peuple français. Imp. Nationale, 8 p. in-8o. s. d.)