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ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

marchandise en Flandre avant d’avoir été informé par lui que la comtesse de Flandre et le duc de Brabant ont levé l’embargo qu’ils viennent de lancer sur tous les arrivages provenant d’Angleterre[1].

L’écriture du manuscrit en question correspond au caractère de son contenu. C’est une petite cursive gothique que l’on peut considérer comme le type de l’écriture que l’on apprenait à tracer dans les écoles urbaines[2].

À l’époque où nous reporte le manuscrit, c’est-à-dire la deuxième moitié du xiiie siècle, le latin n’était plus la seule langue qui servît à initier les enfants à la lecture et à l’écriture. On avait traduit à leur usage les distiques de Caton en langue vulgaire. Les écoles de la bourgeoisie devaient nécessairement mettre leurs élèves à même d’écrire le langage dont ils se serviraient dans la vie. Elles contribuèrent sans doute efficacement à en introduire l’emploi dans les actes de l’administration courante et des affaires. On peut supposer à bon droit que, si la plus ancienne charte en langue vulgaire que l’on possède (1204) provient de Douai, c’est parce que le puissant développement commercial du comté de Flandre y avait plus largement et plus hâtivement qu’ailleurs répandu l’enseignement laïque. Dans une autre ville flamande, à Ypres, les innombrables lettres de foire dressées au cours du xiiie siècle ont substitué le français au latin[3].

En dépit de leur indigence, ces quelques notes suffisent à montrer que le commerce du moyen âge n’a pas été un commerce d’illettrés. L’instruction des marchands est au contraire un phénomène aussi ancien que le renouveau économique. Et c’est là un fait d’une très grande portée. Car il prouve jusqu’à l’évidence que les marchands médiévaux ne sont pas les continuateurs des mercatores du ixe et du xe siècle. S’ils n’avaient pratiqué, comme ceux-ci, que le petit commerce local, ils n’eussent pas plus éprouvé qu’eux le besoin de s’instruire. C’est l’étendue de leur trafic qui, leur imposant la nécessité de la lecture et de l’écriture, les a contraints à prendre des clercs à leur service, à fréquenter les écoles de l’Église et enfin à fonder dans les villes un enseignement laïque, qui est le premier que l’Europe ait connu depuis l’extinction, vers le viie siècle, de celui de l’antiquité.

H. Pirenne.
(Gand.)
  1. Je crois intéressant d’en donner le texte in extenso, comme spécimen de correspondance commerciale : « Viro provido et discreto tali, civi talis loci in Anglia, talis opidanus brugensis, salutem in Domino, et suis profectibus tam intenta sagacitate quam debita fidelitate per omnia sicut in propriis hanelare. Discretioni vestre significo quod universa bona, tam per aquam quam per terram, de universis Anglie partibus Frandrie adducta, tam a duce Brabantie quam comitissa Flandrie, pertinaciter arrestantur. Ideirco discretioni vestre significo sane consulando, deprecor et exoro, quatinus omnino nulla bona transmittere presumatis versus Flandriam vel Brabantiam, donec supra hiis vobis securitatis litteras transmisero speciales ». N. de Pauw, op. cit., p. 55.
  2. On en trouvera un fac-similé dans H. Pirenne, Album belge de diplomatique, planche XXXI.
  3. G. des Marez, La lettre de foire à Ypres au xiiie siècle, p. 8.