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et même sans conviction». Cest à cette dernière assertion que je me range pour ma part, à condition qu'on mette hors du débat les fabrications d'État et le ravitaillement militaire. I] faut dire sans ambages que les véritables interprètes de Ja pensée populaire furent les hébertistes et, bien mieux encore, les enragés et surtout Jacques Roux. Les hébertistes étaient de pensée courte et, pour remédier aux difficultés, ils ne voyaient d'autre moyen que la con- trainte. Mais, du moment que le gouvernement ne voulait même pas de la réquisition, il n’y en avait pas d’autre pour faire respecter la taxation.

L’attitude du Comité apparaît très nette quand on examine dans l’en- semble son gouvernement économique. Ici, M" Mathiez a dû se borner à recher- cher comment il a essayé de remédier à la disette et à la cherté. En réalité, à partir surtout de la levée en masse, la population civile a été le moindre souci du Comité ; c’est à l'armée et aux fabrications de guerre qu'il a réservé Je plus clair de ses efforts et de ses ressources ; dès lors, entre ses mains, le maximum change de caractère : ce n’est plus un instrument de justice sociale, une consécration du droit à la vie ; c’est un expédient étatiste qui permet au Comité de se procurer les produits dont il a besoin sans précipiter la banque- route. Comme il fallait pourtant que le peuple eût du pain pour que l'ordre fût maintenu, il maintint la réquisition pour les grains. Mais pour tout le reste, il laissa au consommateur le soin de faire observer le maximum qui demeura donc illusoire. Ainsi le marchand et le paysan purent se dédommager, dans quelque mesure, sur Ja population civile, des sacrifices que l'État leur imposait. Le Comité a essayé de ménager les conflit afin de conserver son autorité et d'assurer la défense nationale. Mai ce n’était pas uniquement pour cela que le peuple l'avait porté au pouv Et, comme l'hostilité des marchands et des eultivateurs contre la réglementa- tion demeura irréductible, il perdit en fait tout appui.

Mr Mathiez pense qu'il s’en est rendu compte et que les robespierristes, tout au moins, ont voulu dès lors regagner la faveur des sans-culottes en pro- mettant, par les décrets de ventôse, de partager aux indigents les biens des ennemis de la Révolution, c'est-à-dire des suspects préalablement examinés par des commissions de triage. La mesure, proposée par Saint-Just, expli- querait la procédure expéditive de la loi de prairial ; elle expliquerait aussi, en partie du moins, la coalition qui se forma contre Robespierre, cette vaste expropriation ayant alarmé presque tous ses collègues. Et de fait, quand une réconciliation s’esquissa au début de thermidor, on convint, entre autres conditions, que les commissions de triage, qui n'avaient fonctionné qu’à Paris, seraient enfin désignées, M° Mathiez n’a pas traité la question dans le présent, volume : il renvoie sur ce point au tome III de son histoire de la Révolution.

Elle mérite d'être examinée de très près. La politique sociale des Monta- gnards, telle qu’on la connaît, est essentiellement urbaine ; c'est aux sans- culottes des villes qu’ils ont consenti le maximum, et c’est en leur faveur qu'ils l'ont partiellement appliqué ; l'énorme prolétariat des campagnes en à très peu profité et Mr Mathiez aurait peut-être pu le marquer plus forte- ment. Or ce sont les manouvriers agricoles que les décrets de ventôse auraient avantagés. Quels biens, en effet, pouvait-on distribuer aux ouvriers des villes ? L'échec du maximum était pour eux sans compensation possible. 11 faudrait donc admettre que les robespierristes auraient enfin pensé à se constituer un