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140 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

ce taux qu'on opérait le rachat. Comme l'acquéreur aurait dû payer le droit et verser ensuite le prix du rachat, le vendeur avait intérêt à libérer son immeuble avant de l'aliéner (p. 272, 324-5). C'est évidemment à ces parti- cularités que sont dûs la plupart des rachats que l'on connaît.

Pourquoi n'ont-ils pas été plus nombreux, surtout dans les campagnes ? Aux yeux de l'historien, c’est la question essentielle. M' Ferradou s'en est également prévecupé. Dans son introduction, il marque bien que les circons- tances politiques ont joué un rôle prépondérant et il y revient à la fin du livre. Au fond, dès le premier moment de la révolution, le paysan était décidé à ne plus payer, s’ille pouvait sans trop de risques et, en beaucoup d'endroits, il ne s’est pas contenté, pour se libérer, de la résistance passive. Un chapitre eût donc été bien venu qui aurait décrit la révolte agraire dans la Gironde. La région de Lesparre a été, par exemple, en 1789, le théâtre d’un très sérieux mouvement de fédération communaliste qu’il eût valu la peine de mettre en rapport avec la question des droits féodaux. Mr Ferradou déclare (p. 349) ne pouvoir se ranger à l'opinion de M Aulard pour qui les refus demeurent une exception, quoique fréquente. On constate, en effet, qu'il a recueilli sur ces refus un grand nombre de renseignements (outre l'introduction, voir p- 87, 89, 901, 125, 239, 241, 351, 373, 888-91, 396, 414), mais ils sont dissé- minés à un tel point qu'un dépouillement méthodique des notes permet seul d'en apprécier l'importance. Plus nombreux encore probablement ont été les gens qui cessèrent de payer sans qu'on osât leur rien réclamer et, à plus forte raison, les poursuivre. On vend, en effet, sans racheter les droits casuels, malgré les conditions extrêmement favorables dont on vient de parler : c’est vraisemblablement qu'on pensait ne pas les payer (p. 39). On comptait d’ailleurs sur des lois nouvelles : un vendeur stipule un surplus pour le cas où l'acquéreur ne serait plus tenu de payer le cens (p. 348).

Les propriétaires de droits féodaux, au contraire, espéraient les conserver et d’autres personnes partageaient leur confiance, puisqu'elles les leur ache- {aient : des transactions de cette nature sont encore conclues de janvier à mai 1793 (p. 440, 454-5). Au début de juillet 1793, on voit assigner des rede- vables en paiement (p. 395, 441-2). D'ailleurs une partie de la bourgeoisie révolutionnaire n’a donné satisfaction aux paysans qu’à grand regret : le député Crozilhac, dans une lettre, déplore le vote de la loi du 17 août 1792 {p. 370). Une réaction, au surplus, n'était pas exclue des calculs : en 1794, des actes notariés expliquent que le vendeur, ayant racheté les droits, garantit l'acquéreur pour le passé, mais non pas pour l'avenir. Ces faits sont de grand intérêt historique et eussent mérité d'être groupés et mis en lumière : ils contribuent à expliquer que la fermentation se soit perpétuée dans les cam- pagnes. Mais il y a mieux encore : en avril 1792, un seigneur, vendant une part de son domaine direct, stipule que, ne pouvant légalement se réserver le cens et les lods et ventes, « le règlement de la dite rente sera néanmoins fait au prorata des fonds voisins, pour fixer ensuite le rachat des dites redevances, conformément aux décrets». Mr Ferradou cite plusieurs actes qui constituent en toutes lettres des baux à fiefs ou à cens (p. 842-3). C'était donc en vain que la Constituante avait aboli le régime féodal pour l'avenir: on continuait à le perpétuer illégalement. 11 n’a rien moins fallu que les mesures draco- niennes de la Convention pour en venir à bout.