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— Racontez-moi l’histoire de votre Myna, Prince, cela soulagera votre cœur de parler d’elle, et moi, de mon côté, je vous dirai après par quelle occulte sentence j’ai connu ce nom.

— Vous faire ce récit, mon enfant, est pour vous attrister. Cependant je suis incité à parler, à verser dans votre jeune cœur, que je devine dévoué et bon, un peu de ma peine. Asseyons-nous ici dans les tombes… sous les roses :

« J’étais tout jeune quand je connus Myna, en Autriche, son pays ; plus tard, je la retrouvai en Angleterre après la catastrophe qui bouleversa l’avenir de ma famille, son père était ambassadeur à Londres.

« Notre amitié d’enfant devint vite de l’amour… Mais le Prince d’Ettinghen ne voulait pas entendre parler d’une union possible entre sa fille et le proscrit que j’étais.

« Nous souffrîmes ainsi plusieurs années, puis un jour, à bout de patience et de supplications, nous passâmes outre, et nous vînmes, pendant une absence du père de Myna, nous marier à Londres.

— Devant le forgeron !

— Non, devant deux amis fidèles à moi : le Baron G… et le Comte d’… et deux amis de sa famille à elle, qui nous approuvaient.

« Le bonheur que nous goûtâmes dans la joie de nous appartenir fut empoisonné de beaucoup d’amertume. Il fallait se cacher comme si nous avions mal agi et garder, de peur d’une esclandre, le plus profond secret vis à-vis de nos parents. Peu après, le Prince d’Ettinghen fut appelé à Vienne, il emmena sa fille, malgré son désespoir, il ne voulut rien entendre, il l’avait fiancée, en dehors d’elle, à son cousin le duc de Sforza.

« Nos amis nous conseillèrent de céder et d’attendre… Myna partit. Moi je vécus quelques semaines en désespéré, d’autres ennuis vinrent se greffer sur ma douleur et à bout de forces, je partis me battre aux colonies. Dès l’arrivée en Afrique, un cablogramme m’apprit la mort de Myna.

« Dès lors, je m’exposai aux dangers des combats…

— Pauvre prince. Comme je vous comprends. C’est la première fois que vous venez sur cette tombe.

— La première ; je suis arrivé ici hier et j’ai été tout de suite au château que vous voyez là sur la hauteur. Il est désert, le vieux prince est mort.

— Et la princesse ?

— Je ne l’ai jamais connue ; elle mourut peu après son mariage, laissant une fille unique, Myna, que son père, intransigeant, on peut le dire, a tuée. Ce n’est pas tout, une autre blessure, encore plus horrible, vient de m’atteindre. Pendant ma visite à ce château, je causai à une vieille servante qui fut la femme de chambre de ma chère Myna, Cette femme de chambre raconta le drame horrible, qui brisa la vie de ma bien aimée.

— Ne me le dites pas, vous retournez le fer dans vos blessures.

— Oui, mais je suis poussé à le dire, ainsi que vous le croyez, l’âme de ma chérie doit être ici, autour de cette tombe, autour de nous. Elle doit agir sur ma volonté, car j’éprouve une intuition bizarre. Je suis contraint à parler. Je me sens avec vous en communion tellement absolue d’idées…

— Moi de même, je devine les mots sur vos lèvres, j’écoute.

— Ma pauvre Myna mit au monde une petite fille, en cachette, la nuit, avec la seule confidence de cette servante. Elle cacha l’enfant deux jours, puis son père, surpris de ne pas voir Myna, inquiet de la savoir malade, vint vers elle, sans se faire annoncer et la surprit au moment où, tenant son bébé dans ses bras, elle allait lui donner son lait.

La colère du prince d’Ettinghen fut indescriptible et causa une telle révolution à la jeune mère, qu’une fièvre se déclara et l’emporta en quarante-huit heures.

L’enfant disparut. Son grand-père, son bourreau, l’enleva, nul ne put savoir ce qu’il en fit. On doute cependant qu’il la tuât, mais il y avait, paraît-il, des bohémiens campés auprès du parc, qui disparurent la nuit même.

— Mon Dieu ! oh ! et on ne courut pas après les bohémiens ?

— Pourquoi ? on était affolé de l’état de Myna, l’enfant était secondaire : outre le prince, il n’y avait au château que des serviteurs.

— Alors, nul ne sut jamais rien au sujet de l’enfant ?

— Nul ne sut jamais rien. Le prince mourut quelques années plus tard emportant son secret.

Des sanglots étranglaient Véga, elle avait saisi les mains du prince Lô et les étreignait fébrilement ; de sa vie elle n’avait éprouvé une semblable émotion.

Calmez-vous, mon enfant, je ne voudrais pas vous causer tant de chagrin.

— Si vous saviez !

Véga tirait de son cou, où elle l’avait attachée à une chaîne d’or, la médaille trouvée sur elle autrefois par Marfa Strongnief, elle la mit sous les yeux de son voisin !

— Voyez ! la reconnaissez-vous ?

Lô avait pris la médaille, il l’observait attentivement, il lut l’inscription. Une immense surprise se lisait sur son visage altéré.

— Cette médaille me fut donnée à ma première communion par mon père, je l’avais mise au cou de Myna, quand nous nous séparâmes…

— Et Myna la mit au cou de sa fille.

— C’est probable et elle voulut ainsi lui donner une pensée de son père.

— Par quel hasard possédez vous ce précieux souvenir ?

— Parce que je fus jetés un soir dans la roulotte du bohémien Natacha qui ne sachant que faire de ce paquet, alla le porter à sa sœur Marfa, avec un peu d’argent attaché dans une enveloppe à mon maillot. Marfa me nourrit, m’éleva, puis me vendit à l’âge de quatre ou cinq ans.

Lô avait enlacé Véga, il la serrait contre son cœur :

— Mon enfant ! voilà pourquoi je t’aimais tant, pourquoi je devais tout de dire, pourquoi tu étais le portrait de ma tendre Myna… oh ! ma fille !

Un silence suivit ces mots. Véga avait noué ses bras au cou du prince et tout bas, avec un élan de tout son être, disait « Papa ! »

Comme une petite fille heureuse, elle prononçait ce mot béni. Jamais de sa vie elle n’avait connu pareille félicité. La joie d’avoir un père ! joie simple et si naturelle, que les enfants ne l’apprécient pas, mais pour Véga, quel triomphe, quel incomparable bonheur !

Quand ils purent se reprendre, revenir des lointains de leur âme, d’un même mouvement, ils vinrent, la main dans la main, s’agenouiller sur la tombe de Myna.

L’âme flottante de l’épouse et de la mère était là.


LV

Lys et Abeille

Le lecteur peut conclure.

Bien entendu, il ne fut plus question de se quitter ; ils contèrent chacun leur passé, leur histoire ; les trains passaient, la locomotive de renfort était venue, ils n’y songeaient pas. Il fallut que Daniel inquiet se mît à la recherche de sa chère Véga. Il finit par la trouver transfigurée et elle s’élança vers lui, se jeta dans ses bras à demi-folle de joie :

— Daniel, voici mon père !

Père, voici mon fiancé !

À présent elle osait aimer son Daniel, elle osait accepter le rêve de lui appartenir, elle était digne de lui, par la naissance et le cœur.

La stupéfaction de San Remo eut peine à se calmer. Il lui fallut une longue explication avant qu’il parvînt à comprendre et quand ce fut enfin, il avoua.

— Je voyais en Véga une âme d’élite. Les événements, qui, en ce moment, se précipitent autour de nous, sont amenés par ceux que nous avons aimés et qui veillent sur nous. Voyez combien tout est providentiel, et peu volontaire en nos actes.

Jusqu’à cette union entre ma fille et vous, prince, jusqu’à cette alliance qui lie deux races, celles des Lys et des Abeilles.